Comment les protestants ont inventé la fausse doctrine de “l’Eglise invisible”?

Dans ses Thèses sur l’Église (ouvrage posthume), section 4, « Préambule historique », le cardinal Jean-Baptiste Franzelin explique avec une grande clarté l’origine et la genèse du concept hérétique d’ Eglise invisible chez les protestants. Ce concept est d’ailleurs lié à l’hérésie matricielle du protestantisme, selon laquelle chaque homme possède son salut de par sa relation immédiate au Christ, indépendamment de l’Eglise visible et hiérarchique. Il donc est important de comprendre les origines protestantes de cette conception dévoyée de l’Eglise et du salut individuel, car on les retrouve dans les discours de Bergoglio et de manière générale, chez tous les modernistes aujourd’hui.

 « Les artisans de la Réforme ont commencé par se consacrer, corps et âme à la destruction de l’Église, en disant que depuis de nombreux siècles celle-ci avait corrompu la vraie foi chrétienne et lui avait substitué dans le monde entier d’innombrables erreurs humaines.

 Cette Église était selon eux entièrement plongée dans l’idolâtrie, l’évêque de Rome était l’Antéchrist, les évêques catholiques, les prêtres et les moines de cette Église en étaient les suppôts, au sens propre d’après lequel l’annoncent les Écritures.

 Mais s’il en était vraiment ainsi, l’Église fondée par Jésus-Christ et rachetée par son sang aurait totalement disparu depuis de nombreux siècles. Il n’y aurait donc plus rien à réformer, et il serait seulement nécessaire de fonder une nouvelle église, qui par le fait même ne serait plus l’Église de Jésus Christ, et serait plutôt une autre Église, établie par un nouveau fondateur, et donc une œuvre purement humaine.

D’autre part, le Christ, vrai Dieu et vrai homme, a de toute évidence promis que l’Église qu’il avait fondée resterait indéfectible, et donc aussi infaillible dans sa foi et dans son enseignement, grâce à l’assistance qu’il lui prêterait tous les jours, jusqu’à la consommation du siècle.

Face à ce dilemme, ces apostats, voulaient éviter de reconnaître l’évidence et nier qu’ils avaient abandonné l’Église, indéfectible et donc toujours existante, fondée par Jésus-Christ. Ils furent bien obligés d’inventer de toutes pièces une nouvelle doctrine pour définir à leur guise la nature de l’Église, ou plus exactement, ils furent conduits à nier la réalité même de l’Église, pour n’en retenir que le nom.

Il y a là un mensonge bien évidemment contraire aux Écritures, mais il suffit pourtant à donner aux yeux du peuple ignorant quelque apparence de vérité à cette révolte de l’impiété.

L’Église des promesses, prétendaient ces réformateurs, est la seule véritable Église du Christ, celle à laquelle le Fils de Dieu a promis l’indéfectibilité, l’Église sainte et universelle. Elle a pour seuls membres les saints (disent les luthériens) ou les prédestinés (disent les calvinistes). C’est uniquement par sa foi personnelle que chaque chrétien s’approprie les mérites et la propre justice du Christ ; cette justice qui lui est imputée ne le rend pas juste en lui-même mais le fait passer pour tel aux yeux de Dieu. C’est donc en cela que consiste la sainteté et la véritable Église des promesses se compose de tous ceux qui possèdent cette sainteté et seulement d’eux. Les membres de cette Église ne sont pas formés ni engendrés sous l’action d’un pouvoir ou d’un ministère divinement institué, mais ce sont plutôt eux qui forment et engendrent l’Église. Chacun d’eux exerce le sacerdoce pour son propre profit, et cet exercice ne correspond pas à un ministère de l’Église ; il résulte de la foi personnelle que chaque croyant conçoit directement sous l’action du Saint-Esprit, car celle-ci est attachée à la parole de Dieu. Grâce à cette foi, le croyant s’attribue les mérites du Christ. C’est ainsi que les fidèles se rattachent au Christ comme à leur chef et qu’ils sont les seuls à former ses véritables membres.

D’après cette théorie, tous les hommes sont sans doute visibles, l’Écriture et la prédication de la parole sont elles aussi des éléments sensibles, ainsi que les sacrements, qui sont les auxiliaires de la parole. Mais il n’y a là que des signes externes, et dans la mesure où ils restent visibles, ils ne sont pas les propres attributs de la véritable Église ; ce sont des éléments que l’Église possède en commun avec la masse des réprouvés, que l’on désigne aussi comme l’Église du Christ.

Mais c’est seulement une manière de parler, et on ne désigne pas ainsi la réalité. Loin d’énoncer la vérité, cette expression la cache plutôt. En effet, tous les éléments grâce auxquels les hommes sont unis au Christ et font partie du nombre de ceux qui composent la vraie Église […] sont connus de Dieu seul ; ils restent dissimulés aux yeux des hommes, et sont absolument invisibles.

De ce fait, la vraie Église est absolument invisible, puisqu’elle n’est rien d’autre que le nombre supposé de tous les saints ou de tous les prédestinés. Les artisans de la Réforme s’acharnaient partout contre l’Église, qu’ils présentaient comme la synagogue de l’Antéchrist, ennemie jurée du Christ, mais il leur fallait concilier cette prédication enragée avec l’institution et les promesses du Christ, grâce auxquelles nous avons la certitude que Dieu sera tous les jours aux côtés de son Église indéfectible, et que cette assistance passera par l’intermédiaire d’une institution bien présente, telle que le Christ l’a établie.

Il fallait donc indiquer ou du moins laisser entendre où est trouvée pendant tant de siècles la véritable Église des promesses. Ils répondaient que Dieu s’était toujours réservé quelques saints, mais qu’ils étaient cachés et dissimulés au milieu d’un peuple impie. Répandus par toute la terre, ces saints formaient la véritable Église. Ces hérétiques ont tout d’abord mis l’accent sur ce dogme, ainsi que sur les autres points de leur doctrine où ils prétendaient que la parole de Dieu était suffisamment claire pour pouvoir se passer de toute interprétation, car ils tâchaient dans un premier temps de détourner les peuples de l’Église.

Mais par la suite, les principes même qu’ils défendaient engendrèrent un désordre universel, il en résulta une affluence sans bornes de sectes diverses, et les foules fanatisées se soulevèrent, jusqu’à faire couler le sang. Il devint alors manifeste qu’on ne pourrait jamais établir aucune société religieuse sur de pareils fondements, pas même l’ombre d’une structure ecclésiastique. Les sociétés civiles subiraient la même ruine.

C’est pourquoi, nos hérétiques songèrent pour la première fois à abolir l’ancien ordre des choses pour lui en substituer un nouveau, en réformant le ministère de l’Église et son autorité, ainsi que l’Église visible et sa constitution. Mais c’était là une entreprise impossible et une peine considérable, car il était clair qu’il fallait concilier les inconciliables !

Voilà l’absurdité de cette démarche, à laquelle les premiers réformateurs se sont autrefois essayés, et s’essaye encore le petit nombre qui se réclame toujours aujourd’hui du protestantisme orthodoxe. Il faut pour combattre les catholiques maintenir en principe la notion d’une Église invisible, qui est exprimée dans les principes fondamentaux de tout le protestantisme.

Mais si l’on veut maintenir aussi en principe la société religieuse protestante et en défendre la notion même contre toutes les sectes qui se réclament de la même origine qu’elle, il est en même temps nécessaire d’affirmer et de revendiquer sérieusement l’existence d’une Église visible et indéfectible, instituée par le Christ et qui s’est continuée sans changement depuis les apôtres jusqu’aux protestants orthodoxes. En effet, si l’on admet cette notion catholique où l’Église des promesses est visible, il suffit d’examiner les origines et l’histoire de la Réforme protestante pour s’apercevoir, quand bien même on serait aveugle, que tout le mouvement issu de la rupture du XVI siècle, toutes ces sectes réformées, y compris le protestantisme orthodoxe, ne sont que des groupes en révolte contre la véritable et indéfectible Église de Jésus-Christ.

Les protestants veulent à tout prix échapper à cette conséquence manifeste, car elle représente la vérité qu’ils veulent nier avant toute autre. La plupart d’entre eux conservent donc dans toute son intégrité le principe fondamental auquel ils doivent leur origine, et qui est comme le sein maternel d’où est sortie leur hérésie : ils prétendent que l’Église des promesses, fondée par Jésus-Christ, a été et demeure une Église invisible.

Elle est à leurs yeux la véritable Église des saints ou des prédestinés et ils en distinguent la masse de l’Église, qui est visible. Cette masse visible, au sein de laquelle la véritable Église invisible demeure cachée, a besoin d’une discipline et d’une organisation sociale pour maintenir sa cohésion, ce qui rend nécessaire des ministères et des institutions d’ordre ecclésiastique, qui équivalent à la constitution de l’Église. Mais celle-ci est d’origine humaine et elle peut donc changer, selon les époques les endroits.

À partir de là, il n’y a plus aucune raison de dire que cette Église visible, avec sa constitution humaine, est différente de la cité terrestre et du gouvernement politique, comme si elle relevait d’un ordre distinct. Il s’ensuit donc nécessairement cette conséquence que nous observons partout dans le protestantisme : les rois ou les chefs de la société civile se sont arrogé le titre d’évêque suprême, en vigueur dans l’Église catholique et gouvernent une prétendue Église nationale, exactement comme ils gouvernent dans l’autre sphère de la société politique et civile, sous le titre de prince.

Les protestants prétendent que le prince n’exerce pas l’épiscopat suprême en vertu de son pouvoir de roi, mais agit pour cela comme le membre principal de l’Église. Mais il est clair que c’est là un mensonge inventé de toutes pièces pour tromper le peuple. Il n’a en lui-même aucune valeur, surtout si l’on songe que l’on ne peut pas s’autoriser des principes du protestantisme tels que nous les avons présentés pour dire en toute certitude que qui que ce soit, fût-il roi ou magistrat, fait partie de la véritable Église.

On dira alors que le prince est seulement le membre le plus éminent de cette masse qui n’est pas la vraie Église, mais, dans ce cas, l’épiscopat suprême n’est plus qu’une fonction d’ordre profane, qui découle du pouvoir royal et civil. Ce ne saurait être la prérogative d’un membre de l’Église. »