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La secte des mahométans : un royaume divisé contre lui-même

Par Pierre Joly
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Mahomet aurait dit un jour : « Si deux califes sont proclamés, tuez le dernier d’entre eux. » [1] Si cette hypothétique sentence avait été appliquée, la communauté mahométane aurait peut-être pu échapper à une longue guerre fratricide. Mais la Providence en a décidé autrement. En effet, après l’assassinat de Othman Ibn Affan (le troisième calife de l’islam), la légitimité de son successeur Ali Ibn Abi Taleb [2] (le cousin de Mahomet) fut âprement contestée par un de ses compagnons nommé Mou’awiya. Ce conflit en apparence anodin entre Ali et Mou’awiya fut pourtant un événement déterminant qui contribua à diviser pour longtemps la nation islamique. Comme l’a dit Notre Seigneur : « Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné »  (Matthieu 12 ; 25). Et le monde mahométan n’échappe pas à cette règle. Depuis maintenant plus d’un siècle, la communauté mahométane ne possède plus de dirigeant pour garantir son unité. Aujourd’hui, la nation islamique étant divisée en plus de soixante-dix communautés, il semble à priori impossible que cette dernière puisse se doter à nouveau d’un chef. Cette division trouve probablement son origine dans le conflit qui a opposé Mou’awiya à Ali. Dans le texte que nous allons retranscrire ci-dessous, l’imam Égyptien Jalal Eddine As-Souyouti (membre de l’école Shafi’ite) en explique les raisons profondes… Mais avant d’exposer ce texte, nous tenons à préciser que certains propos tenus par ce savant mahométan n’engagent pas les catholiques, puisque la Très Sainte Église Romaine ne considère pas le Coran comme un livre sacré, ni Mahomet comme un véritable prophète, ni Aïcha comme la mère des croyants. Ceci étant dit, nous laissons maintenant le lecteur prendre connaissance du récit de ces deux battailles tristement célèbres dans l’histoire de l’islam, à savoir : la bataille du chameau et la bataille de Siffin…

     « Avant de parler des circonstances qui ont amené Ali à accepter de prendre en charge les destinées de la communauté, il faut préciser que celui-ci n’a jamais prétendu que le prophète l’a désigné comme son testeur légal et comme son successeur légitime. Interrogé un jour à ce sujet, il répondit avec sa sincérité coutumière et spontanée : “Par Allah, il ne m’a rien laissé de tel ! J’étais le premier à croire au messager d’Allah, et je ne vais pas être le premier à mentir à son sujet ! S’il m’avait laissé un testament en ce sens, je n’aurais jamais laissé Abou Bakr et Omar monter sur la chaire de la mosquée !

      En outre, les historiens rapportent qu’au moment où le prophète était malade et alité, El-Abbas demanda à Ali d’aller le voir pour lui demander que le calife qui prendra en charge les destinées de la communauté après sa mort soit toujours choisi parmi les Banou Hachim. Mais Ali lui répondit : “Ô mon oncle, et s’il refuse, crois-tu que nous puissions l’avoir après lui !”Alors, ne lui demande pas !” lui dit El-Abbas. “Par Allah, jamais je ne pourrai le lui demander !” s’exclama Ali.

      Il n’est pas dans notre propos ici de disserter sur lequel des compagnons avait le plus de droits d’accéder au califat après la mort du prophète, dans la mesure où tous les compagnons – surtout les plus proches d’entre eux ou les dix élus du paradis – étaient dignes d’accéder à cette fonction. C’est pourquoi il serait vain et sans aucun intérêt de discuter sur ce sujet qui a tant divisé les musulmans et fait beaucoup de mal à la communauté. N’est-ce pas le Coran qui nous dit ? : “Une telle génération a disparu. À elle ce qu’elle a acquis et à vous ce que vous avez acquis. Vous n’aurez donc nullement à répondre de leurs actes.” (Sourate Al-Baqarah, verset 134).

      Les compagnons avaient choisi ceux qu’ils considéraient comme plus aptes à exercer cette fonction, ce qui ne veut pas dire que les autres n’en étaient pas dignes, à Dieu ne plaise ! Ils avaient fait un effort d’interprétation (idjtihad) et cet effort doit être respecté et accepté.

      Lorsqu’après la mort d’Othman les musulmans avaient vu qu’il n’y avait pas un autre qu’Ali en mesure de diriger les affaires de la communauté, ils se sont précipités chez lui pour lui faire allégeance et le nommer comme calife et émir des croyants.

      C’est le vingt-quatre du mois de Dhil Hidjja de l’an trente-cinq de l’hégire qu’Ali Ibn Abi Taleb fut choisi par les musulmans pour assumer les fonctions de calife du prophète. Au début, il déclina la proposition, préférant plutôt les fonctions de conseiller du calife qu’ils auront à choisir. Mais les gens venus nombreux pour lui faire allégeance insistèrent tellement qu’il finit par accepter, vu les circonstances difficiles que traversait la communauté après l’assassinat du calife Othman. Certes, Ali n’était pas un homme à fuir ses responsabilités lorsque la communauté qui se trouve dans un moment crucial de son histoire fit appel à lui. Il ne savait pas combien ce poste de calife dont on le pressait d’accepter allait lui causer de difficultés et de soucis. Il n’eut même pas le temps de se consacrer à la propagation de l’Islam comme le furent ses prédécesseurs ou aux relations dans le domaine social et économique. Son règne fut jalonné de soulèvements et d’insurrections qui occupèrent tout son temps et toute son énergie. Bien plus, et comme l’a remarqué le regretté Chakib Arslan : “sans la discorde qui éclata à la fin du califat d’Othman et pendant celui d’Ali, les musulmans auraient achevé la conquête du monde sans qu’on eut pu les arrêter.” [3] […]

      Les historiens rapportent que tous les ansars prêtèrent serment d’allégeance à Ali, à l’exception d’un petit groupe composé d’Hassan Ibn Thabit, Ka’b Ibn Malik, Maslama Ibn Moukhallad, Abou Sa’id El-Khoudhri, Mohammed Ibn Maslama, Enno’mane Ibn Bachir, Zayd Ibn Thabit, Ousama Ibn Zayd, Rafi’ Ibn Khadidj, Foudhala Ibn Oubayd, et Ka’b Ibn Oudjra. Ces compagnons étaient des partisans d’Othman.

      En outre, un autre groupe prit le chemin de Damas sans prêter serment d’allégeance à Ali. Il s’agit de Qoudama Ibn Madh’oun, Abdallah Ibn Salam, El-Moughira Ibn Chou’ba, Sa’d Ibn Abi Weqqas, Abdallah Ibn Omar et Souhayb.

      Pour ce qui est d’El-Walid, de Sa’id et de Merwane, ils s’enfuirent à la Mecque. Quant à Enno’mane Ibn Bachir, il prit les doigts coupés de Naila la femme d’Othman ainsi que la chemise dans laquelle il fut tué, et partit en Syrie.

      On rapporte que Mou’awiya suspendait la chemise tachée de sang d’Othman sur laquelle il y avait les doigts de son épouse sur la chaire de la mosquée. À chaque fois que les Syriens les voyaient, leur ressentiment augmentait. La sédition qui avait causé la mort d’Othman se manifestait de nouveau. L’historien Eddahabi parle d’un pacte auquel soixante-dix mille personnes adhérèrent pour venger la mort d’Othman. Les compagnons qui avaient quitté Médine pour la Syrie restèrent neutres sans soutenir la cause des Syriens.

      Ali, qui n’ignorait pas ce qu’il se passe au sein de son califat, n’allait pas tarder à réagir. Déjà, certains illustres compagnons parmi lesquels se trouvaient Talha et Az-Zoubayr sont venus le vour pour lui demander de châtier les coupables du meurtre d’Othman. Mais Ali leur avoua l’impossibilité d’une telle démarche, car c’est gens-là étaient nombreux et puissants, et il craignait de provoquer une discorde entre les musulmans et une faille qu’il serait difficile de combler.

      C’est pourquoi il leur recommanda d’être patients et d’attendre jusqu’à ce que les esprits se calment pour agir.

      Ali, qui avait conscience que l’une des causes à l’origine de la sédition qui avait entraîné l’assassinat de son prédécesseur était le maintien de gouverneurs impopulaire, décida de remplacer certains d’entre eux qui étaient contestés et avec lesquels il ne pouvait plus travailler.

      Mou’awiya Ibn Abi Sofiane était de ceux-là. Déjà, sous le califat d’Othman, Ali reprochait à ce dernier de maintenir Mou’awiya dans son poste de gouverneur de Syrie, alors que ce dernier faisait tout ce qu’il voulait en l’attribuant au calife. Le nouveau calife était donc décidé à agir pour changer cet état des choses, malgré les conseils de certains compagnons, notamment El-Moughira Ibn Chou’ba et Ibn Abbas, qui le mirent en garde contre une telle éventualité décidée hâtivement et dans la précipitation, alors que son pouvoir n’était pas encore consolidé. C’est ainsi qu’Ibn Abbas, nommé comme gouverneur de Syrie à la place de Mou’awiya, refusa ce poste en disant à Ali : “Ce n’est pas là un avis judicieux, ô émir des croyants, car Mou’awiya fait partie des Banou Oumeyya, il est le cousin d’Othman et son gouverneur en Syrie. Je crains qu’il ne me tue pour prétendre venger Othman ou qu’il ne m’emprisonne pour t’exiger de lui livrer les assassins d’Othman !”. “Et pourquoi ferait-il cela ?” lui dit Ali. “À cause de la parenté qu’il y a entre nous ! Tout ce qu’on te reproche, on me le reproche à moi aussi” lui répondit Ibn Abbas. Cependant, je te conseille d’écrire à Mou’awiya en lui annonçant son maintien et en le menaçant en même temps s’il fait preuve d’insoumission.” “Par Allah, s’exclama Ali, cela ne saurait se faire !

      Ali refusa donc d’écouter le conseil d’Ibn Abbas et persista dans sa décision de destituer les gouverneurs des provinces. À la place d’Ibn Abbas, qui avait refusé de prendre le poste de gouverneur de Syrie, il nomma le compagnon Sahl Ibn Hounayf. […] On rapporte qu’il envoya un message à Mou’awiya, afin de connaître ses intentions et ses dispositions à son égard. Quelque temps après, un émissaire envoyé par le puissant gouverneur de Syrie arriva à Médine. Il dit à Ali : “Tous les habitants de Syrie sont résolus à venger sur toi la mort d’Othman. Plus de cent-mille hommes se réunissent chaque jour dans la mosquée principale, pleurent devant la chemise ensanglantée d’Othman et maudissent ses meurtriers. Ils déclarent qu’ils ne boiront point d’eau fraîche avant d’avoir vengé sa mort.” [4] En entendant ces mots, Ali s’écria : “Seigneur, Tu connais l’auteur de la mort d’Othman ! Son sang n’est pas sur moi.” Le calife sut alors que la sédition s’est bel et bien répandue au sein de son califat. Il décida d’agir rapidement pour la circonscrire. Il mobilisa une armée et envoya des messages à ses gouverneurs en Égypte, à Basra et à Koufa, pour qu’ils fassent de même.

      Or, alors qu’il était occupé à ses préparatifs, Ali reçut une information de la Mecque, l’informant de la révolte contre son pouvoir des compagnons Talha et Az-Zoubayr, soutenus par la mère des croyants Aïcha. Mais là, les raisons de la révolte n’étaient pas d’ordre politique – du moins en apparence – mais répondaient à une revendication de voir le calife rechercher les assassins d’Othman et les châtier.  C’est là,  à vrai dire, une chose vraiment impossible à faire pour le calife, dans la mesure où,  jusqu’à présent,  le nom du meurtrier d’Othman n’est pas connu avec précision. Au demeurant, les historiens qui ont relaté les faits de cet assassinat ne sont pas d’accord sur le nom de l’auteur du crime. Ces historiens parlent de plusieurs hommes, sans savoir avec précision qui a commis ce crime. Pour prouver sa bonne foi, Ali demanda qu’on lui donne le nom de l’auteur du crime en assurant qu’il était prêt à lui faire appliquer la justice. Mais les partisans de Talha, Az-Zoubayr et Aïcha ne purent qu’avouer leur impuissance en ce sens, puisqu’Othman fut tué dans une grande confusion, si grande qu’il était pratiquement impossible de savoir avec précision qui a commis ce crime abject. À moins d’arrêter tous ceux qui avaient contesté la méthode de gestion du califat du défunt calife et, dans le cas d’une telle éventualité, il faudrait assumer les risques d’une sédition encore plus grave, ce que le calife ne pouvait pas ou ne voulait pas faire, de peur de provoquer une autre scission dans la communauté. Or, celle-ci n’avait pas besoin de prendre un tel risque, d’autant que les ennemis de l’islam n’attendaient qu’une occasion propice pour se ruer à l’assaut du califat. C’est la conclusion à laquelle était arrivé Ali, contrairement à ses adversaires qui, apparemment, n’avaient pas compris les enjeux et les risques d’une telle démarche, malgré leur sincérité évidente. En effet, si rien ne permet de mettre en doute la bonne foi et la démarche désintéressée des meneurs de cette révolte contre Ali, dans leur revendication à demander vengeance pour le calife injustement assassiné, il n’en demeure pas moins que, parmi leurs partisans, beaucoup étaient mus par d’autres considérations inavouées. […]

      La principale revendication, en tout cas, qui ressortait du discours fait par Aïcha à la Mecque en apportant son soutien à Talha et Az-Zoubayr, était le châtiment des responsables du meurtre d’Othman. Une nouvelle épreuve s’annonçait donc pour le calife Ali et, partant, pour la communauté si divisée après la mort d’Othman. […]

      L’historien Eddahabi, qui a longuement étudié les tenants et les aboutissants de cette affaire, a fini par écrire : “Talha, Az-Zoubayr et Aicha, convaincus qu’ils n’avaient pas suffisamment aidé le calife Othman, et mesurant les conséquences que cet assassinat provoqua au sein de la communauté, décidèrent de quitter Médine et de se rendre à Bassorah pour réclamer le châtiment des responsables du meurtre du calife Othman. Ils agissaient de la sorte sans qu’Ali n’en soit informé. Quant aux meurtriers d’Othman, ils s’étaient groupés autour d’Ali et devenaient, à son insu, de plus en plus influents. Ils faisaient partie de son armée qu’il avait mobilisée pour partir en Irak mettre fin à cette révolte. Ainsi, s’engagea entre Ali d’un côté, et Talha, Az-Zoubayr et Aicha de l’autre, sans que lui-même ne le sut ni ne le voulut, cette bataille du chameau, dans laquelle les éléments les plus obscurs et les plus douteux des deux armées combattirent avec acharnement.

      En tout état de cause, cette bataille appelée “la bataille du chameau”, parce qu’Aïcha était montée sur un chameau dans un palanquin, fit de nombreuses victimes des deux côtés. Plus grave encore, elle laissa de tragiques conséquences dans la conscience musulmane. Et surtout, comme l’a écrit le regretté Mohammed El-Khodari Beck : “elle créa un précédent dans les luttes fratricides entre les musulmans qui n’hésitèrent plus dorénavant à s’entretuer, alors que cette attitude était pour eux une chose des plus horribles et des plus inadmissibles.” [5]

      En effet, pour la première fois depuis la mort du messager d’Allah, des musulmans s’opposèrent avec les armes à d’autres musulmans. Des milliers de morts, rapportent les historiens, tombèrent des deux côtés, victimes d’une conspiration tramée dans l’ombre. Lorsque certains des musulmans qui dirigeaient cette bataille prirent conscience du piège dans lequel ils s’étaient fourrés, il était déjà trop tard. […]

      Dans ses “Chroniques”, l’historien Tabari rapporte qu’un homme de Basra du nom d’Abou Harb vint à la nuit tombée trouver Talha et Az-Zoubayr et leur dit : “Donnez-moi mille hommes. Je veux tomber sur Ali qui, croyant que vous voulez faire la paix, n’est pas sur ses gardes.” Talha et Az-Zoubayr répondirent : “Nos adversaires sont des musulmans, et Ali est le fils  de l’oncle du prophète ; ce n’est pas un Chosroès, ni un César de Roum. Jamais il n’est arrivé que les membres d’une même nation aient combattu les uns contre les autres. Nous appartenons, eux aussi bien que nous, au même peuple, et nous avons la même religion. Dans cette même nuit, une proposition pareille avait été faite à Ali par un de ses partisans, et il l’avait également déclinée.” [6] […]

      Quant à Aïcha, après s’être rendue compte, elle aussi, de la conspiration dans laquelle elle s’était laissée entraîner, elle lança un appel solennel aux musulmans pour cesser de s’entretuer, fustigeant au passage les meurtriers d’Othman responsables de cette conspiration. Elle nu dut son salut qu’à l’intervention énergique des gens de Médine et de Basra qui la mirent à l’abri des attaques des responsables de la grande conspiration. Traitée dignement comme l’exige son statut de mère des croyants, Aïcha fut portée dans son palanquin par Ammar Ibn Yasir, l’illustre compagnon, et par Mohammed Ibn Abi Bakr, son demi-frère. Elle fut accompagnée à Basra avec tous les égards avant de regagner la Mecque, puis Médine. Ali vint lui rendre visite pour s’enquérir de sa situation. Il lui dit : “Comment vas-tu, ô mère ?”. “Je vais bien” repondit-elle. “Qu’Allah te pardonne !” lui dit ensuite Ali. “Et à toi aussi !” lui dit-elle. Ensuite lorsqu’El-Qa’qa Ibn Amrou vint la voir, elle lui dit : “J’aurais souhaité être morte depuis une vingtaine d’années, et n’avoir jamais vécu ce jour-là !” El-Qa’qa rapporta ces propos à Ali qui lui dit : “Moi aussi, j’aurais souhaité être mort depuis une vingtaine d’années, et n’avoir jamais vécu ce jour-là !

      Lorsqu’elle décida de quitter Basra pour la Mecque, Ali vint la voir avec ses compagnons en leur disant : “Elle est l’épouse de notre prophète dans ce monde ici-bas et dans l’autre.” Aïcha leur fit ses adieux et leur dit : “Ce qui est arrivé avait été décrété par le destin. Maintenant, qu’aucun de nous ne garde rancune pour l’autre ! Vous êtes tous mes fils ; soyez des frères les uns pour les autres.” […] Ali accorda une amnistie générale pour réunifier les rangs des musulmans et raffermir la cohésion de la communauté. Il ordonna aussi qu’on fasse les prières mortuaires sur tous les morts et qu’on les enterre tous ensemble. Il voulait tourner au plus vite cette page noir pour les musulmans et oublier ce jour funeste dans l’histoire de l’Islam.

      Aïcha sortit de Basra, le premier mois de Radjeb, de l’année trente-six de l’hégire, pour se diriger vers la Mecque où elle y resta jusqu’à la saison du pèlerinage,  avant de regagner Médine.  Elle avait alors quarante-cinq ans.

      Après cette victoire qui rendit à la communauté sa cohésion et son unité,  Ali retourna à Basra, puis prit le chemin de Koufa où il installa désormais le siège de son califat. Ensuite, il chargea Djarir Ibn Abdallah El-Badjili de porter un message aux habitants de Syrie pour les inviter à prêter le serment d’allégeance. En outre, il envoya un autre message à Mou’awiya pour l’informer du consensus des mouhajirine et des ansars quant à son allégeance et pour l’inviter à reconnaître son autorité et à faire allégeance comme eux. Mais lorsque l’émissaire d’Ali arriva en Syrie, il se rendit compte que Mou’awiya et les habitants de Syrie refusaient de faire allégeance au calife avant qu’il n’ait châtié les responsables de la mort d’Othman. À son retour de Koufa, il en informa Ali. Apparemment, le meurtre d’Othman continuait à servir de prétexte aux luttes de pouvoir pour certains, ce qui permis aux ennemis de l’unité et de la cohésion de la communauté d’exploiter ce meurtre pour arriver à leur fin. Cependant,  ces conspirateurs et ces apprentis sorciers ne pouvaient atteindre leurs buts et concrétiser leur desseins sans la soif de certains musulmans pour le pouvoir et leurs penchants à opter pour le chauvinisme tribal voire clanique. En refusant de faire allégeance au calife choisi librement par tous les musulmans, le gouverneur de Syrie n’a-t-il pas obéi à des considérations plus tribales que religieuses ? En faisant du châtiment des assassins d’Othman une condition sine-qua-non pour reconnaître la légitimité du califat d’Ali, Mou’awiya, par son intransigeance, a fermé la porte à tout dialogue et à toute possibilité de parvenir à un consensus général auquel aspiraient beaucoup de musulmans, surtout après que toutes les provinces eurent reconnu la légitimité du nouveau calife.  La dernière province à le faire fut celle de l’Irak où Ali s’installa après sa victoire dans la bataille du chameau. Seule la province de Syrie continuait à échapper au pouvoir du calife. Ali tenta à diverses reprises d’amener la province rebelle à l’obéissance et à l’allégeance, mais en vain. Les forces du mal entrèrent en jeu et ruinèrent toutes les tentatives de régler cette affaire par des moyens pacifiques. Il ne restait que les moyens militaires comme alternative pour trancher dans ce différend. […]

      En outre, cette province était devenue un véritable nid de conspiration pour tout ceux qui avaient des comptes à régler avec le califat d’Ali et l’islam en général.

      Il va de soi que le calife ne pouvait laisser cette situation perdurer au risque de mettre en danger la stabilité du califat et l’unité de la communauté. Il envoya donc un dernier message au gouverneur de Syrie dans lequel il lui dit : “Ce n’est pas le châtiment des assassins d’Othman qui t’intéresse ; mais tu essayes de prendre ce drame comme un prétexte pour arriver au califat. C’est pour cela que je ne te livrerai personne. Quant à moi, je me suis mis en retrait de la sédition et je n’ai aucune responsabilité à ce sujet. Si tu ne fais pas serment d’allégeance, je te considères comme un insurgé !

      En outre, il envoya un autre message à Amr Inn El-As pour le mettre en garde contre son soutien à Mou’awiya.

      Mais tous les efforts d’Ali pour régler cette crise par le dialogue et la conciliation ne purent, hélas, aboutir. Il ne restait donc que la confrontation pour trancher entre les deux camps. […]

      Cette confrontation eut lieu à Siffin, sur la rive droite du fleuve de l’Euphrate, en Irak. L’armée du calife Ali et celle du gouverneur de Syrie, Mou’awiya, se rencontrèrent dans une terrible bataille qui laissera des traces indélébiles dans la mémoire collective musulmane. Cette bataille sera appelée “El-Fitna El-Koubra” (la grande épreuve) parce qu’elle annonça les profondes fractures qui allaient apparaître au sein de la communauté et la diviser tout au long de l’histoire. […] La débandade s’installa dans le camp des troupes de Mou’awiya qui commencèrent à battre en retraite. Les Syriens, écrit l’historien Tabari, se mirent à abandonner le champ de bataille en criant : “Nous allons tous être tués !” Mou’awiya était en plein désarroi et ne savait que faire pour arrêter la débandade de ses partisans. C’est alors, disent les historiens, qu’Amrou Ibn El-As lui suggéra une idée astucieuse qui le tira d’affaire. Il lui proposa d’ordonner à ses soldats de fixer sur les bouts de leurs lances des copies du Coran pour signifier à leurs adversaires qu’ils désiraient l’arbitrage du livre sacré. Mou’awiya suivit ce conseil et adressa aux partisans du calife un appel où il est dit en substance : “Habitants de l’Irak, si vos frères de Syrie sont exterminés, qui restera donc pour professer l’islam ? Je vous exhorte à obéir au Livre d’Allah auquel nous croyons, aussi bien vous que nous, et à vous conformer à son arbitrage !

      Ali Ibn Abi Taleb, qui avait pour credo de toujours se conformer au Coran et de suivre ses directives, ne pouvait pas ne pas accepter cette proposition de trêve et d’arbitrage faite au nom du Livre sacré. Mais cette idée de Mou’awiya eut pour effet de diviser ses rangs. En effet, si certains de ses partisans acceptèrent facilement cette proposition et se rangèrent à l’avis du calife, d’autres, la rejetèrent, en n’y voyant rien d’autre qu’une ruse pour éviter la débâcle à ses partisans. Le calife accepta donc l’arbitrage et désigna pour le représenter le pieux compagnon Abdallah Ibn Abbas, qui était un de ses partisans. Mais les partisans de Mou’awiya le récusèrent en arguant le fait qu’il était le cousin d’Ali. Ils proposèrent que ce soit Abou Moussa El-Ach’ari qui assume le rôle d’interlocuteur. Après d’âpres discussions, Ali finit par accepter et par désigner Abou Moussa. Quant aux gens de Syrie, il désignèrent Amrou Ibn El-As pour les représenter dans les pourparlers. L’accord conclu entre les deux parties stipulait que les deux armées se retirent chacune à son point départ, en attendant de trouver un compromis définitif au différend. Mais après plusieurs jours de pourparlers, dans un lieu devenu célèbre par la suite, Doumat El-Djendel, les deux émissaires ne purent arriver à un accord acceptable pour les deux protagonistes. À ces réunions participèrent de nombreux compagnons comme Sa’d Ibn Abi Weqqas, Abdallah Ibn Omar, Abdallah Ibn Az-Zoubayr, Abd Errahman Ibn Abi Bakr, El-Moughira Ibn Chou’ba et d’autres. À la fin, les deux négociateurs trouvèrent un compromis consistant à proclamer la destitution des deux hommes, Ali et Mou’awiya, et le recours au libre choix des musulmans pour désigner un autre calife. Or, alors que le représentant d’Ali annonça la destitution d’Ali et de Mou’awiya, comme convenu, Amrou Ibn El-As, qui représentait Mou’awiya, refusa de le faire. Bien plus, il proclama devant les gens qu’il destituait Ali et confirmait Mou’awiya dans son opposition au calife. Les deux hommes se séparèrent sur cette divergence fondamentale. C’était le retour à la case départ. La communauté se retrouvait avec deux califes : l’un en Irak et l’autre en Syrie. Cependant, si cette situation arrangeait Mou’awiya et les gens de Syrie,  elle provoqua de graves dissensions parmi les partisans d’Ali. En effet, l’acceptation par Ali de cet arbitrage lui valut de profondes divisions dans son camp. De nombreux partisans du calife qui l’avait soutenu, se mirent à lui adresser de sévères reproches avant de remettre carrément en cause son autorité. Ces hommes là finirent par proclamer leur dissidence d’où l’appellation de Kharidjites (littéralement : les sortants) qui leur sera donnée par les musulmans. »

Source :

L’histoire des quatre califes bien guidés. éd. Universel (2020), p. 271-292


[1] Hanifa, Al-Fiqh al-akbar, cité par : Tyan, Institutions, p. 690

[2] Imam Jalal Eddine As-Souyouti : « Ali Ibn Abi Taleb Ibn Abd El-Mottalib est issu de la tribu des Banou Hachim, la tribu à laquelle appartenait le messager d’Allah. Il est le cousin paternel du prophète avec lequel il se rencontre dans le premier ancêtre Abd El-Mottalib. Il est né à la Mecque en l’an six cents de l’ère grégorienne, c’est-a-dire dix ans avant la révélation. Il avait trente ans de moins que le prophète. Sa mère s’appelait Fatima bint Asad Ibn Hachim. Contrairement à son époux, elle s’est convertie très tôt à l’Islam et a émigré avec les musulmans à Médine. Il est donc un pur hachémite. Il est le benjamin de trois autres fils d’Abou Taleb : Dja’fer, Ouqayl et Taleb. […] Très jeune encore, le prophète le prit en charge pour aider son père Abou Taleb et le soulager un tant soit peu des nombreuses charges induites par sa nombreuse progéniture. Le noble et généreux prophète voulait, à vrai dire, rendre le bien à son oncle Abou Taleb qui l’avait élevé et pris à sa charge alors qu’il était orphelin sans père ni mère. Une fois devenu un jeune homme, le prophète lui accorde la main de sa fille Fatima Ezzahra, bien qu’il était pauvre et sans ressources. De cette heureuse et bénie union naquirent quatre enfants, deux garçons El-Hasan et El-Haçayn et deux filles Zayneb et Oum Kelthoum. Sa noble descendance est appelée Ahl El-Bayt (les gens de la maison). Le Coran a dit à leur sujet : “Certes, Allah veut vous débarrasser de toute souillure, ô gens de la maison (du prophète) et veut vous purifier” (Sourate Al-Ahzab, verset 33). Ali donna comme dot, pour son mariage avec Fatima, sa cuirasse qui valait quelque quatre-cents dirhams. Il n’avait chez lui qu’une natte, un coussin bourré de fibres de palmier, une outre et un cruchon. Après la mort de Fatima Ezzahra, Ali épousa plusieurs femmes qui lui donnèrent quatorze garçons et dix-neuf filles. Il eut ainsi comme épouse Khawla bint Dja’fer qui lui donna Mohammed l’aîné (Ibn El-Hanafiyya) ; il épousa Oum El-Banine bint Hizam Ibn Khalid qui lui donna El Abbas l’aîné, Othman, Dja’fer et Abdallah ; il épousa également Asma bint Oumays qui lui donna Yahia et Awn ; il épousa aussi Oumama bint Abi El-As qui lui donna Mohammed ; il épousa en outre Oum Sa’id bint Arwa qui lui donna Oum El-Hasan et Ramla l’aînée ; il eut aussi comme épouse Layla bint Mass’oud qui lui donna Oubaydellah et Abou Bakr. On lui attribue aussi d’autres enfants dont les mères étaient des esclaves. » (Cf. L’histoire des quatre califes bien guidés. éd. Universel, 2020, p. 245-247). 

[3] Chakib Arslan : Pourquoi les musulmans ont-ils régressé ? Et pourquoi les autres ont-ils progressé ? éd. Ihaddadène (2004).

[4] L’imam Ali Ibn Abi Taleb, le quatrième calife bien guidé. op cité.

[5] L’imam Ali Ibn Abi Taleb, le quatrième calife bien guidé. op cité.

[6] El-Feth El-Moubine. op cité.

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