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Les papes les plus calomniés de l’histoire

Par Pierre Joly
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« Royauté exemplaire, elle est debout depuis deux mille ans ; plus de deux cent cinquante fois sa couronne a changé de front, et, chose admirable autant que certaine, parmi ceux qui l’ont ainsi représentée, le niveau de la vertu plane habituellement au-dessus de tous les trônes qui les entourent ; très souvent ils la font monter jusqu’à l’héroïsme et la sainteté, et c’est à peine si, à travers cette continuité de splendeur, vous surprendrez trois ou quatre noms dont on puisse ne pas vénérer la mémoire. » [1]

Mgr Claude-Henri Plantier.

À l’heure où des égarés croient encore que la papauté a toujours été corrompue, nous allons entreprendre – dans cet article – la tâche difficile de rétablir la vérité sur certains papes, dont la réputation est aujourd’hui controversée. Ces derniers temps, nombreux sont les souverains pontifes à avoir été diffamés. À tel point qu’il est devenu quasiment impossible de réfuter l’ensemble des allégations formulées contre eux. C’est pourquoi nous nous concentrerons ici uniquement sur le cas des papes Alexandre VI, Innocent VIII, Léon X et Pie IX…    

Alexandre VI : un pape libertin et meurtrier ?

De ne jours, Alexandre VI est souvent représenté comme le pape du libertinage et du meurtre. Mais la réalité est plus complexe…

D’après l’Abbé Benjamin-Marcellin Constant : « Avant d’embrasser l’état ecclésiastique, Rodrigue Lenzuoli était officier dans les armées du roi d’Espagne. C’est à cette époque, et en garnison à Barcelone, qu’il tint la conduite déréglée qu’on lui a justement reproché depuis. Nous n’avons garde de l’excuser, mais il ne faut pas attribuer au pape les désordres du laïque, du jeune homme, du militaire. […] L’assassinat du duc de Gandie : Loin d’y prendre part, Alexandre VI fut atterré de ce malheur. « Dès qu’il en eut connaissance, il se renferma soudain et versa des larmes. Ses officier et le cardinal de Ségovie frappèrent à sa porte, et, par leurs représentations et leurs instances, ils l’engagèrent à leur ouvrir. Depuis le mercredi soir jusqu’au samedi à pareille heure, le pape ne prit aucune nourriture, et il passa sans dormir toute la nuit du jeudi au vendredi. À la fin, cédant aux supplications qu’on lui faisait, il commença à modérer sa douleur et à sentir qu’à force de s’y livrer, il nuirait à sa santé. Ce fut à cette époque qu’il prit la résolution d’abdiquer la papauté. Le roi Ferdinand, consulté à ce sujet, lui répondit que cette affaire méritait une grande délibération, et qu’il fallait au moins attendre que son affliction fût calmée. Il nomma, de plus, une commission de six cardinaux pour travailler au rétablissement de la discipline ecclésiastique. » (Cf. Raynald, 1497, IV, 8). […] La mort de Zizim : Giannone avait accusé Alexandre VI d’avoir fait empoisonner le frère du sultan Bajazet. M. de Matthias a prouvé que Zizim était mort à Capoue, dans le camp même de Charles VIII roi de France, atteint de la dysenterie qui régnait à cette époque. » [1]

L’une des sources préférées des historiens anticléricaux est sans aucun doute le Liber notarum : un journal attribué à l’évêque Johann Burchard, dans lequel le pape Alexandre VI est dépeint comme un homme coupable de tous les vices.

Le problème, c’est que ce document est loin de constituer une source fiable, comme le démontre l’Abbé Clément de Vebron : « Ainsi, c’est près de deux siècles après la mort du maître des cérémonies que des protestants ont tiré de leurs bibliothèques son œuvre pour diffamer un pape. Leibnitz, Lacroze, Eccard sont protestants. Le premier trouve son manuscrit dans la bibliothèque de Wolfen-buttel, les deux autres dans celle de Berlin. Où est ici la garantie d’authenticité ? Burchard a trouvé de nos jours un troisième éditeur. Le chevalier Achille Gennarelli a eu la prétention, en fondant en un seul les textes de Leibnitz, d’Eccard et des divers manuscrits, de nous donner le vrai texte du maître des cérémonies. Quelle peut être la valeur de ce document composé sur des textes suspects et sur des manuscrits d’une authenticité si contestable ? Nous en faisons le lecteur juge. M. Gennarelli va plus loin ; il avoue ingénument qu’il a comblé les lacunes des manuscrits et les endroits indéchiffrables par le texte de divers auteurs : Summonte, Infessura, etc., etc. Le premier volume, qui va du 12 août 1484 au mois de mai 1494, a paru en 1854, à Florence. Nous l’avons lu avec une vive curiosité. L’éditeur florentin accumule avec une grande érudition, en note, au bas des pages, une foule de documents épars dans plusieurs bibliothèques ; mais tout le poids de son érudition ne donne pas une once de plus d’authenticité à son Diarium. Un historien qui a étudié à fond cette œuvre a fait de Burchard un portrait qui trouve ici sa place. « À la cour du pontife (Alexandre VI) vivait un maître dos cérémonies du nom de Burchard ou Burcard, Procope d’antichambre, qui a tenu la liste de tout ce qu’il a vu, entendu, deviné et le plus souvent imaginé. À le lire, on croirait qu’il n’a pas quitté le pape un seul instant ; il le suit à la chapelle, au consistoire, à table, au lit ; la nuit n’a pas d’ombres dont il n’ait percé l’obscurité. C’est un être qui ne croit pas à la vertu, et qui, à l’aide d’un ducat, explique ordinairement une bonne pensée, une bonne action. Jamais romancier ne se joua avec une naïveté si bouffonne de la crédulité de ses lecteurs. D’Alexandre VI, la dissimulation personnifiée, il fait un héros de mélodrame qui vient afficher ses débordements aux yeux de Rome tout entière. Qu’un cardinal meure, il regarde dans le breuvage du malade, et, presque toujours, il y trouve des traces de poison. Pourquoi ce poison ? C’est parce qu’Alexandre voulait s’emparer des dépouilles du prélat. Voltaire s’est spirituellement moqué, en sa qualité de poète tragique, de cette violation des premières règles de l’art dramatique … Si l’on pouvait croire à la narration de Burchard, Alexandre VI aurait été vraiment frappé d’idiotisme. Ce serait un Cassandre de comédie, cherchant exprès le grand jour, pour rendre une ville, un pays, un monde entier témoin de ses folies, un crétin de Maurienne étalant sur le grand chemin ses dégoûtantes infirmités. Jamais bonne femme ne fit comme le maître des cérémonies, des contes à dormir debout. On dirait que, pour remplir ses pages de chaque jour, il faisait le métier de facchino, courant les rues, les hôtelleries, les marchés publics, les boutiques et les étalages ; et de tout ce qu’il avait entendu de la bouche de valets de place, de servantes d’auberge, de palefreniers, de barbiers, formant le soir un récit qu’il appelait son journal. C’est dans l’œuvre posthume de ce fouilleur d’égouts qui n’était pas destinée à voir le jour, que beaucoup de nos historiens et de nos romanciers sont allés puiser, pour peindre Alexandre, des récits qu’ils nous ont donnés comme des documents officiels » (Cf. Audin, Hist. de Léon X, ch. XI). Comme s’il ne suffisait pas à Burchard d’avoir toute sa haine, toute sa vengeance dans un tiroir bien fermé, il dérobe encore sa pensée, « sous des chiffres, des abréviations, des caractères passés de mode, en sorte que ce journal, véritable grimoire, parait avoir été écrit plutôt par la griffe du diable que par une main d’homme » (Cf. Paris de Grassis, Diarium, ad ann. 1506). Sous ces caractères énigmatiques chacun peut lire ce qui lui plaît. Nous voudrions bien savoir quel cas ferait un tribunal de pareils papiers. Et puis, l’original de la compilation si authentique du maître des cérémonies, on ne le possède même pas. Sérieusement, doit-on s’en rapporter aveuglément aux protestants qui ont ouvert le tiroir où gisait cette œuvre venimeuse, « cloaca maxima », et qui se sont chargés de déchiffrer ce grimoire ? Quelle garantie nous offrent ces extraits de fabrique protestante ? Quelle puissante crédulité il faut, pour accepter comme des documents de quelque valeur des copies qui diffèrent entre elles de tant de manières ! Que de papiers mal honnêtes frauduleusement introduits il faudrait peut-être retrancher, si le hasard faisait un jour déterrer de dessous la poussière d’une bibliothèque le véritable manuscrit du maître des cérémonies ! […] Il est hors de doute, pour les hommes sincères, que la plupart des écrits de cette époque sont des satires dictées par la vengeance. « Temps affreux que ceux où vécut Alexandre VI, où l’épigramme fait souvent l’office de poignard, et la poésie tient la place de l’histoire. » M. de Reumont, un ennemi des Borgia, ne parle pas autrement que M. Audin. « Les scènes qu’on nous peint du Vatican, dit-il, sont des contes, où la malignité des uns et la lascivité des autres pouvaient se complaire, mais que repoussent tous ceux qui connaissent le caractère des récits romains de celte époque malheureuse. » (Cf. Archirio storico italiano, 3e série, t. XVII, p. 325). Mais quoique la vengeance puisse dire la vérité, ces satires contredisent trop souvent les faits, pour que nous acceptions sans contrôle leurs assertions comme des vérités historiques. Nous n’admettons pour vérités historiques que celles qui sont garanties. Voltaire a posé cette règle, que nous suivrons ici : « Quand des contemporains comme le cardinal de Retz et le duc de la Rochefoucauld, ennemis l’un de l’autre, confirment le même fait dans leurs mémoires, ce fait est indubitable ; quand ils se contredisent, ce qui n’est point vraisemblable ne doit point être cru, à moins que plusieurs contemporains dignes de foi ne déposent unanimement. » » [2]

Dans ces conditions, il est difficile de croire à l’authenticité du récit selon lequel Alexandre VI aurait organisé, en 1501, une orgie au Vatican pour célébrer le mariage de sa fille : Lucrèce Borgia.

Toujours selon l’Abbé Clément de Vebron : « C’est à cette époque, deux mois après la conclusion de ce mariage, qu’on place ce fameux banquet des cinquante courtisanes, après lequel Alexandre, César et Lucrèce se seraient donné le plaisir d’assister à une révoltante orgie. Cette scène monstrueuse que les ennemis des Borgia ont prise au sérieux est un tableau de turpitudes telles qu’il est difficile de concevoir comment un homme dans son bon sens a pu se résoudre à l’écrire. Mais ce récit est-il réellement de Burchard ? N’est-ce pas plutôt l’œuvre de quelque obscur faussaire ? Car on se rappelle comment le Diarium a vu le jour. Aucun contemporain ne parle de ce fait, ni Marino Sanuto, ni Zambotto, ni Frizzi, ni aucun des chroniqueurs qui nous ont laissé les récits les plus circonstanciés des fêtes données au Vatican à l’occasion du mariage de Lucrèce. Il n’en est fait mention dans aucune des lettres que les envoyés de Ferrare adressent chaque jour de Rome à leur maître. Il y a plus, la marquise de Mantoue, sœur d’Alphonse d’Esté, a envoyé à Rome un agent secret qui la tient au courant des moindres incidents du Vatican : or, nulle part, dans ses relations que l’on conserve encore, il ne fait allusion à rien qui se rapproche de cette révoltante scène. Il n’est pas possible de croire que si cette monstrueuse orgie eût eu lieu, tous ces historiens, tous ces légats de Ferrare et de Mantoue se fussent tus comme à l’envie. Où est ici la garantie qui force à accepter un fait pour vérité historique ? Voltaire parlant de Louis XIV a écrit : « Ce qui n’est point vraisemblable ne doit point être cru, à moins que plusieurs contemporains dignes de foi déposent unanimement du fait. » Ici, les contemporains se taisent et le plus vulgaire bon sens dit que cette scène est invraisemblable. Un vieillard, un Pape épié de tout ce qui l’approche, entouré de cardinaux peu favorables à son autorité et sur qui le monde entier a les yeux ouverts, qui loge dans son palais les ambassadeurs de Ferrare venus nombreux à Rome pour arrêter les préparatifs de la noce de sa fille, peut-il être accusé d’une infamie aussi inconcevable sans des preuves convaincantes ? Quelles preuves apporte le vrai ou le faux Burchard ? Aucune. Ces turpitudes abominables ne sont guère dans la nature. Un vieillard peut avoir dans sa tête des idées de libertinage, mais il serait au désespoir qu’il y eût un seul témoin de sa honte. Quand a-t-on vu un vieux président de cour, un vieil archevêque, un vieux roi rassembler une cinquantaine de ses domestiques, pour leur servir de jouet, pour être à leurs yeux l’objet le plus ridicule et le plus méprisable ? C’est calomnier l’humanité. On haïssait les Borgia et, parce qu’ils aimaient à donner des fêtes splendides au Vatican, on insinua que ces fêtes n’étaient que la répétition des orgies de Caprée. » [3]

Cependant, sans vouloir innocenter Alexandre VI, il est tout de même permis de se demander : qui serait légitime pour le juger parmi les ennemis de l’Église ?

Pour répondre à cette question, nous laisserons la parole à l’Abbé René François Rohrbacher : « Sur plus de deux cent cinquante papes qu’il y a eu depuis Saint Pierre, Alexandre VI est un des trois dont il paraît certain que les mœurs ne furent pas plus chastes que les mœurs de la plupart des souverains temporels, ou même de la plupart des hommes. […] Supposé donc Alexandre VI convaincu de tous les crimes que la renommée lui impute, qui pourra raisonnablement le condamner ? Supposez-le pareil aux grands dieux du paganisme, infanticide comme Saturne, incestueux et parricide comme Jupiter, adultère et meurtrier comme Mars, ainsi du reste, quel païen pourra le condamner, sans condamner ce qu’il adore ? Ne devra-t-il pas plutôt se dire : Qui sait ! c’est peut-être un nouveau dieu. Il en sera de même du mahométan, lui qui reconnait, avec son prophète, que Dieu opère en nous le mal comme le bien, la passion de l’inceste comme la volonté de donner l’aumône ; le mahométan devra donc, dans tous les crimes imaginables d’Alexandre VI, bénir les opérations du Dieu qu’il adore. Il en sera des disciples de Luther et de Calvin comme de celui de Mahomet ; car, tout ainsi que Mahomet, Luther et Calvin enseignent que nous n’avons point de libre arbitre, que Dieu opère en nous le mal comme le bien, le désire de corrompre une religieuse comme celui de garder la chasteté. Comment donc le calviniste et le luthérien pourraient-ils, dans Alexandre VI, condamner pour crime ce qu’ils regardent comme les œuvres mêmes de leur dieu ? Il en est du disciple de Jansénius comme des disciples de Luther et de Calvin ; car, suivant leur maître, nous ne sommes pas plus libres dans ce que nous faisons, que le fléau d’une balance qui incline d’un côté ou de l’autre, suivant le poids qui l’entraîne. Ainsi donc, ni les païens, ni les mahométans, ni les luthériens, ni les calvinistes, ni les jansénistes, ne sauraient condamner quoi que ce soit dans Alexandre VI, sans se mettre en contradiction avec eux-mêmes, avec leur religion, avec leur dieu. […] Quant à ce que, dans le langage moderne, on appelle des philosophes, c’est-à-dire des hommes qui, n’ayant ni foi ni religion certaine, raisonnent à l’aventure sur le vrai et le faux, sur le bien et le mal, sur Dieu et sur l’homme, sans arriver jamais à rien de fixe, ni entre eux ni avec eux-mêmes, il est clair comme le jour que des hommes qui ne savent pas encore si la vertu et le vice sont autre chose que des préjugés de vieilles femmes, ne sauraient, sans injustice et sans inconséquence, blâmer ou condamner quoi que ce soit, pour quoi que ce fût. Ce de nos jours, qui, comme les brahmanes idolâtres de l’Inde, supposent que Dieu est tout et que tout est Dieu, pour ceux-là, s’ils comprennent ce qu’ils disent, tous les crimes imaginables d’Alexandre VI seront autant d’actions divines méritant les honneurs et l’apothéose. […] Maintenant, de qui sont les grands scandales ? Les scandales certains d’Alexandre VI ? Est-ce de l’homme ou du pape ? Nous avons vu qu’ils sont du jeune homme, du militaire, de l’officier Espagnol ; c’est comme officier que Rodrigue Lenzuoli eut d’une dame Romaine, réfugiée à Barcelone, cinq enfants clandestins : François, qui devient Duc de Gandie ; César, que Louis XII fit Duc de Valentinois ; Lucrèce, qui mourut duchesse de Ferrare ; Guifry, prince de Squillace ; le nom du cinquième est resté ignoré. Leur père, qui mourut à soixante-douze ans, en avait soixante et un lorsqu’il devient pape : ce n’est plus l’âge des folies scandaleuses ; pour y croire, il faut d’autres garants que des contes et des satyres. Voulons-nous conclure qu’Alexandre VI n’est point coupable ? Nullement. Il est coupable, mais beaucoup moins que nous ne le pensions. Il est coupable, ne fut-ce que d’avoir une si mauvaise renommée. Il est surtout coupable, après une pareille jeunesse, avec de pareils antécédents, d’être entré dans le sanctuaire. Son oncle, Calixte III, est coupable de l’y avoir appelé. Les cardinaux sont coupables de l’avoir placé à la tête de l’Eglise. On excuse le jeune homme, on excuse le militaire, on excuse l’officier Espagnol, mais il n’y a point d’excuse pour le prêtre, point d’excuse pour le cardinal, point d’excuse pour le pape. » [4]    

Alors pourquoi Alexandre VI fut-il autant attaqué ? Dans son ouvrage « Le problème de l’heure présente », Mgr Delassus nous donne une explication possible. Mgr Delassus y cite en effet un extrait des papiers de la Haute-Vente qui étaient venus en possession du Saint-Siège sous le pontificat de Léon XIII et dans lequel on lit le propos suivant :  « Borgia a été anathématisé par tous les vices de la philosophie et de l’incrédulité, et il doit cet anathème à la vigueur avec laquelle il défendit l’Eglise. » [5]

Innocent VIII : un pape infanticide ayant eu recours à la sorcellerie ?

À partir du XVIIème siècle, une horrible rumeur sur le pape Innocent VIII a commencé à circuler. Celle-ci raconte en substance que ce souverain pontife aurait soi-disant provoqué la mort de trois jeunes enfants (à cause d’une transfusion sanguine effectuée par un médecin juif nommé Giacomo di San Genesio).

Toutefois, Jean-Loup Demory – professeur émérite à la faculté de médecine et de maïeutique de Lille – a déjà expliqué que cette fausse histoire a été publiée pour la première fois en 1628 (soit 136 ans après la mort d’Innocent VIII), par un médecin Anglais nommé William Harvey.

Ce dernier prétendait en effet que ce pape « faisait appel à des sorciers juifs pour faire des saignées sur des enfants. » Mais Gérard Tobelem – professeur de médecine et directeur de l’institut des vaisseaux et du sang à l’hôpital Saint Louis – a écrit qu’aucun récit historique fiable ne permet d’authentifier cette rumeur.

Une rumeur d’autant plus absurde que – durant son pontificat – Innocent VIII a courageusement dénoncé la sorcellerie en déclarant ceci : « En effet, il est récemment parvenu à nos oreilles, avec grande douleur, que dans certaines régions de l’Allemagne supérieure, ainsi que dans les provinces, les villes, les territoires, les régions et les diocèses de Mayence, de Cologne, de Trèves, de Salzbourg et de Brême, un grand nombre de personnes, hommes et femmes, sans aucun égard pour leur propre salut et se retranchant de l’Eglise catholique, se sont abandonnés aux démons, aux incubes [démon mâle], aux succubes [démon femelle], et par leurs incantations, leurs sortilèges, leurs conjurations, par d’autres sorts de malédictions et d’autres œuvres, par d’énormes et horribles offenses, ont assassiné des enfants dans le ventre de leur mère, ainsi que des petits d’animaux. Ils ont aussi détruit les produits de la terre, les grappes de la vigne, les fruits des arbres, hommes et femmes, bêtes de somme, troupeaux, ainsi que toutes sortes d’animaux, vignobles, vergers, prairies, pâturages, maïs, blé, et toutes les autres céréales. En outre, ces misérables affligent et tourmentent les hommes et les femmes, les bêtes de somme, les troupeaux, ainsi que des animaux de toutes sortes, avec des maux terribles et des maladies douloureuses, à la fois internes et externes. Ils causent la stérilité chez les hommes et empêchent les femmes de concevoir, de telle sorte que les époux ne peuvent connaitre leurs femmes, ni les femmes recevoir leurs maris. En plus de cela, ils blasphèment et renient la foi qu’ils ont reçue de par le sacrement du baptême et, sous l’influence de l’ennemi du genre humain, ils n’hésitent pas à commettre les plus immondes abominations, les plus sales excès au péril mortel de leurs propres âmes, par lequel ils outragent la Majesté Divine et sont une cause de scandale et de danger pour beaucoup. » [6]

Léon X : un pape blasphémateur et homosexuel ?

En 1557 – soit trente-six ans après la mort de Léon X – un écrivain protestant du nom de John Bale rapporta le récit suivant : « Un jour, lorsque le cardinal Bembo allait donner une explication concernant l’heureux message de Dieu, il (Léon X) répondit d’une manière honteuse : « On sait depuis des siècles combien cette fable du Christ a été profitable à nous et aux nôtres. » Ce grand scélérat déclarait ouvertement qu’il était l’Antichrist, celui que Paul appelle un homme du péché et le fils de perdition. » [7]

Cette histoire trouve précisément son origine dans un manuscrit (lui aussi daté de 1557) écrit par un certain Werich Vendenheimer : un disciple de Philippe Melanchthon (qui fut lui-même un disciple de Martin Luther). Ce manuscrit – qui constituait en fait une compilation des discours de Philippe Melanchthon – contenait la phrase qui suit : « Le pape dit à Bembo : Oh Bembo, ne sais-tu pas combien cette fable du Christ nous a été profitable ? » [8]

En 1594, un théologien Calviniste nommé Sibrand Lubbert, reprendra cette histoire en la retranscrivant de la manière suivante : « Ce même pape se prosternait devant l’image du Christ, mais il considérait comme une fable toute la doctrine du Christ. Léon X en admirant l’argent collecté par les indulgences, dit à Bembo : Oh Bembo, combien cette fable du Christ nous a été profitable. De même, lorsque Bembo cita pour le conforter un passage du Nouveau Testament, il lui dit : Arrêtez-vous avec ces bêtises sur le Christ. » [9]

Notons que le cardinal Pietro Bembo n’a jamais confirmé l’authenticité de cette histoire, probablement inventée par Martin Luther dans le but de salir la réputation de Léon X.

Le théologien catholique Jean Paul Windeck écrira d’ailleurs à ce propos : « Grâce à cette exposition claire de notre doctrine, les calomnies diaboliques et malicieuses de Luther, ce bouffon impertinent, vont disparaître. En fait, au-delà de toute honte et excité seulement par le désir de mentir, il construit ces inventions sur nous et il les propagea publiquement dans le monde : à savoir que le Christ est mort seulement à cause du péché originel, que les papistes considèrent le Christ comme une fable, etc. » [10]

Quant à la supposée homosexualité de Léon X, parmi tous les historiens sérieux qui ont étudié la vie de ce pape, aucun d’entre eux ne mentionnent un comportement aussi contre-nature dans ses mœurs : ni William Roscoe, [11] ni Jean-Marie Audin, [12] ni l’Abbé Joseph-Epiphane Darras, [13] ni l’Abbé René François Rohrbacher. [14] Même le conseiller de Léon X (un ami de Machiavel que ce pape nomma gouverneur de Modène) – et qui dressât un portrait peu flatteur de sa personne [15] – ne l’a jamais accusé d’une telle dépravation, bien qu’il lui reprochât une certaine volupté. [16] Il est donc inutile de donner du crédit à ce genre de fable…

Pie IX : un pape libéral et franc-maçon ?

Pour des raisons que l’on ignore, la réputation de Pie IX a toujours été entachée par l’accusation de libéralisme.

Dans un ouvrage devenu célèbre, Benito Mussolini écrira d’ailleurs sur ce sujet : « Le libéralisme n’eut que quinze ans de faveur. Il naquit en 1830, par réaction contre la Sainte Alliance qui voulait ramener l’Europe au régime antérieur à 1789, et il eut son année de splendeur en 1848, quand Pie IX lui-même fut libéral. Aussitôt après, commença la décadence. » [17]

Pourtant, bien avant son élection à la papauté, à l’époque où il était l’Archevêque du diocèse d’Imola, le futur Pie IX professait déjà un antilibéralisme assez radical. Il ira même jusqu’à écrire : « Je hais et j’abomine jusqu’à la moelle les pensées et les actions des libéraux. » [18]

Plus tard, vers la fin de son pontificat, Pie IX exprima sa pensée ainsi : « J’ai toujours condamné le catholicisme libéral et je le condamnerai encore quarante fois si c’est nécessaire. » [19]

Ces deux citations montrent à quel point l’accusation de libéralisme à l’encontre de Pie IX n’a absolument aucun fondement. Malheureusement, cette calomnie va souvent de pair avec un soupçon injustifié d’appartenance à la Franc-maçonnerie.

En effet, comme l’a écrit l’Abbé Francesco Ricossa : « La légende concernant Pie IX a elle aussi la vie dure. Ce grand et saint Pontife qui condamna la franc-maçonnerie dans au moins vingt-huit documents importants fut accusé d’être lui-même maçon, et la calomnie dure encore aujourd’hui puisque le Dictionnaire des Francs-maçons européens publié en 2005 le met au nombre des “frères” de la Loge Eterna Catena de l’Orient de Palerme dès 1839 et trouve une confirmation de ceci dans le fait que “son appartenance à la franc-maçonnerie fut révélée à la tribune de l’Assemblée nationale, à Paris, par le Frère Charles Floquet”. La source, non citée, du dictionnaire est un article d’un certain Caubet publié en décembre 1865 dans la revue Le Monde maçonnique. Le même Monde maçonnique affirme en 1868, que Pie IX avait été initié à Philadelphie, aux États-Unis en 1823. Dommage que Mgr Mastaï Ferretti n’ait jamais visité ce pays… » [20]

En conclusion, nous ne pouvons qu’inciter nos lecteurs à se méfier de la mythologie antipapiste véhiculée par certains médias qui ne reculent devant rien pour attaquer l’Église catholique. Sachant que le diable est le père du mensonge (Jean 8 ; 44), nous tenons à mettre en garde ceux qui liront ce texte contre les fausses informations relatives à l’histoire de la papauté, qu’ils seraient susceptibles de trouver sur internet. À défaut de réhabiliter tous ces pontifes romains – ce que nous n’avions nullement l’intention de faire – nous espérons au moins avoir réussi à réfuter une partie de cette propagande anticléricale.

Dans la guerre qu’ils mènent au catholicisme, francs-maçons et les protestants ne reculent devant rien, pas même le mensonge.  « Dépopularisez la prêtraille par toutes sortes de moyens » disent les instructions de la Haute-Vente. Pour décrédibiliser l’Eglise, rien de tel que les calomnies contre certains papes.


[1] L’infaillibilité des papes ou recherches critiques et historiques sur les actes et les décisions pontificales que divers écrivains ont cru contraires à la foi. Tome II. éd. J. B. Pélagaud et Cie (1859), Chapitre XVIII, § VIII, p. 367-374

[2] Les Borgia. Histoire du pape Alexandre VI, de César et de Lucrèce Borgia. éd. De l’œuvre de Saint Paul (1882), Chapitre III, p. 45-55

[3] Ibid., Chapitre XXIII, p. 407-409

[4] Histoire universelle de l’Eglise catholique. Tome XXII, éd. Gaume Frères (1845), Livre 83, p. 520-522

[5] Source : Le problème de l’heure présente : antagonisme de deux civilisations. Tome 1 / par Mgr Henri Delassus (1836-1921) p.224

[6] Bulle Summis desiderantes affectibus (9 décembre 1484).

[7] Scriptorum illustrium maioris Brytanniae (1557).

[8] BRETSCHNEIDER, K.G., Philippi Melanthonis Opera quae supersunt omnia, vol. XX, Brunswick (1854).

[9] De papa romano libri decem (1594).

[10] Controversiae de mortis Christi efficacia inter Catholicos et Calvinistas (1603).

[11] Vie et pontificat de Léon X. Traduit de l’Anglais par P.F Henry. Tomes I à IV (1808).

[12] Histoire de Léon X et de son siècle. éd. L. Maison / Charpentier (1846).

[13] Histoire générale de l’Eglise depuis la création jusqu’à nos jours. Tome XXXII. éd. Louis Vivès (1884).

[14] Histoire universelle de l’Eglise catholique. Tome XXIII. éd. Gaume Frères (1858).

[15] François Guichardin : « Léon X fut le premier des Médicis qui monta sur le trône de l’Église. Pendant qu’il n’était que cardinal il sut si bien soutenir son rang et sa maison qui venait de perdre sa grandeur, qu’il la mit en état d’attendre un heureux caprice de la fortune. Il était plutôt prodigue que libéral. Lorsqu’il fut placé sur le Saint-Siège, il parut si magnifique, si grand, si rempli de sentiments dignes du trône, qu’on eût admiré ces brillantes qualités même dans un prince issu d’une longue suite de rois ou d’empereurs. Non-seulement il répandait l’argent avec profusion, mais il prodiguait encore les grâces qui dépendent du souverain pontife. Il en usa avec si peu de ménagement qu’il avilit l’autorité spi rituelle, et que, changeant les usages de la cour de Rome, il fut toujours obligé de recourir à des expédients singuliers pour fournir à ses profusions. À cette grande facilité, il joignait une profonde dissimulation, à la faveur de laquelle il trompa tout le monde à son avènement au pontificat et se fit regarder comme un bon prince. Je ne parle pas de cette vertu austère qui fait canoniser les papes, car telle est aujourd’hui la corruption de nos mœurs qu’il suffit de n’être pas plus méchant que le commun des hommes pour être regardé comme un bon pape. Léon passait pour être bienfaisant et très éloigné de nuire à personne. » (Cf. Histoire d’Italie, éd. A. Desrez, Livre XVI, Chapitre V, p. 696).

[16] François Guichardin : « D’ailleurs, naturellement ami du repos et voluptueux comme il l’était, sa prospérité et la licence où il vivait lui faisaient haïr les affaires, et il n’y avait pas d’apparence que, consacrant les jours entiers à la musique, à de ridicules spectacles de farceurs et de baladins et même à des plaisirs encore moins convenables au chef de l’Église, il songeât à faire la guerre. » (Cf. Histoire d’Italie, éd. A. Desrez, Livre XIV, Chapitre I, p. 581).

[17] La doctrine du fascisme. éd. Vallecchi, Chapitre II, § 8, p. 36

[18] Lettre au cardinal Falconieri (1833).

[19] Discours devant une délégation de députés catholiques Français (18 juin 1871).

[20] https://www.sodalitium.eu/cardinal-rampolla-etait-franc-macon/

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