Dans le texte que nous allons exposer ci-dessous, Michel Feretti 1 explique en substance qu’avant les tueries de Wassy et de la Saint Barthélemy, 2 les protestants ont commis plusieurs massacres qui ont malheureusement eu pour conséquence d’exciter la tentation de la vengeance chez certains catholiques. Il nous paraît important d’évoquer tous ces crimes afin, d’une part, de rendre hommage à nos martyrs, et d’autre part, de rappeler le rôle délétère qu’a joué le protestantisme dans la guerre civile qu’a connu la France il y a maintenant presque cinq siècles.
Les massacres occultés
« La guerre civile – qui éclata, rappelons-le, bien avant l’incident de Wassy – fit de nombreux martyrs puisque, souvent, les destructions huguenotes dégénéraient en massacres. La Guyenne, le Languedoc, le Poitou, la Saintonge ont été les premières provinces éprouvées. Mais, bientôt, Bourges, Mortagne, Meaux, Uzès, Béziers, Nîmes, Saint-Gilles, Montpellier, Orléans, Sully-sur-Loire, Pithiviers, Reims, Coutances, Caen, Montauban, Alès, Condom, Angoulême, Saintes, Périgueux, Sarlat, Mâcon, Auxerre… furent le théâtre de monstrueuses cruautés sur lesquelles les manuels scolaires et la plupart des livres contemporains gardent un silence gêné.
« Plus d’un an avant l’échauffourée de Wassy, en 1560 et 1561, le calviniste Antoine de Mauvans ravage la Provence, incendie la cathédrale de Senez et l’église collégiale de Barjols où il massacre sept chanoines qui tentaient de s’opposer à ses destructions et à ses sacrilèges. Dans les diocèses de Riez, de Glandèves et de Fréjus, après avoir démoli les églises, emporté les croix et les calices, « Mauvans fit toutes sortes d’indignités et de cruautés, tant aux ecclésiastiques qu’aux catholiques, jusques à la ville de Draguignan. » 3
Plus de six mois avant l’incident de Wassy, le 15 août 1561, à Montauban, les protestants pillent l’église Saint-Jacques après avoir brisé les images et renversé les autels. Ils tuent les catholiques rassemblés dans l’enceinte sacrée. Le 19 octobre 1561, à la tombée de la nuit, une bande de huguenots de huit cents hommes attaque l’église Saint-Pierre à Montpellier. Prêtres et fidèles sont égorgés : près de cinquante morts. Le 20 au matin, ils se répandent dans la ville, pillent les soixante églises et chapelles que comptent Montpellier. Ils égorgent plus de deux cents catholiques, déterrent quarante cadavres et leur arrachent les entrailles.
En janvier 1562 le calviniste Théodore de Bèze écrit qu’on ne pouvait imaginer à quel degré était montée la fureur des huguenots dans le Midi : « Ces Aquitains, peut-on lire dans son Histoire des Églises réformées, ne seront contents que quand ils auront exterminé leurs adversaires. »
Après l’incident de Wassy, la fureur des huguenots ne connut plus de limites.
Le 1er mai 1562, les édifices religieux de Lyon sont détruits sur les ordres du baron des Adrets. La primatiale Saint-Jean est saccagée, les prêtres et les religieux sont massacrés. Tout exercice du culte catholique est interdit.
A Bayeux, le 20 mai 1562, une bande commandée par le sire de Colombières, lieutenant de Coligny, fond à l’improviste sur la paisible ville où tous les édifices religieux sont mis à sac. « Non contents de s’attaquer à des pierres auxquelles ils prêtaient une âme, ces forcenés martyrisèrent en outre, avec d’effroyables raffinements de cruauté, des centaines de créatures de chair et de sang, leurs compatriotes, dont le seul crime était de croire encore à ce qu’eux ne croyaient plus. Les habitants qui essayèrent de s’opposer à ces profanateurs furent impitoyablement massacrés ou précipités du haut des remparts dans les fossés. » 4
A Pierrelatte, le 15 juin 1562, « la tradition veut qu’une seule maison ait été épargnée. […] Les catholiques sont tués à coups d’épée ou d’arquebuse ou pendus. Beaucoup sont atrocement mutilés ou torturés avant de mourir : à ceux-ci on coupe le nez ou les oreilles ; ceux-là sont accrochés par le menton aux crémaillères des cheminées, à d’autres on fend la bouche d’une oreille à l’autre, à certains on ouvre le ventre… ; des outrages sans nom sont infligés aux cadavres. » 5
A Bollène, le 22 juin 1562, les huguenots tuent, pillent, violent, rançonnent sans merci. Les moines sont tous massacrés en des supplices inimaginables.
A Saint-Marcellin, le 24 juin 1562, massacre des habitants et de la garnison laissée par Maugiron : trois cents morts. A Montbrison, le 13 juillet 1562, « de récits absolument authentiques et dignes de foi, il résulte que, dans moins de vingt-quatre heures, plus de huit cents personnes, tant soldats qu’habitants, furent massacrés. » 6
Selon l’aveu même du calviniste Théodore de Bèze, dans son Histoire ecclésiastique des églises réformées, la prise de Lauzerte-en-Quercy fit 567 victimes, dont 194 prêtres, en août 1562. 7 Le même auteur confesse qu’à Sully-sur-Loire « furent tués d’abordée tous ceux qui se rencontrèrent par les rues, même trente-six prêtres outre ceux qui se noyèrent dans la rivière. » 8
Au mois de septembre 1567, les protestants décident de s’emparer des villes du royaume. Ils pillent et massacrent dans tout le Midi. Le 30 du même mois, ils font un grand carnage de catholiques, qu’on appela la Michelade en raison de la fête de saint Michel célébrée la veille. Ils s’emparent d’abord par surprise des portes de la ville ; puis, armés de pistolets et d’arquebuses, se répandent dans les rues ; les catholiques sans armes ont à peine le temps de se réfugier à l’évêché. Mais bientôt les huguenots s’emparent de l’évêché, mettant en arrestation tous ceux qui y ont demandé asile, pillent toutes les églises et jettent au feu les boiseries arrachées des sanctuaires, les archives ecclésiastiques, les vases sacrés et les objets d’art. A neuf heures du soir, commence un massacre horrible, sans pitié. On tue le premier consul de la ville, le prieur des Augustins et plusieurs chanoines, un vicaire général, des prêtres, des laïcs. « Les dépositions des témoins devant le parlement de Toulouse évaluent à une centaine le nombre de victimes ; un journal anonyme à 180 ; le vicomte de Joyeuse dit qu’il y en eut deux à trois cents. » 9
La même année 1567 connaît d’autres assassinats de catholiques : à Alès, où sont tués sept chanoines qui chantent matines, deux cordeliers et plusieurs autres ecclésiastiques ; à Uzès, à Pont-Saint-Esprit, à Bagnols, à Viviers, à Rochefort… Ce sont cinquante villes environ qui, dans le Bas-Languedoc, tombent aux mains des protestants.
En 1568, mêmes scènes de massacres à Gaillac et dans plusieurs villes de l’Albigeois. Le 24 septembre, les huguenots entrent par surprise à Saissac et y assassinent tous les prêtres.
Le 24 août 1569, Jeanne d’Albret, hérétique fanatique « fit daguer tous les seigneurs catholiques prisonniers à Pau. Ce fut la Saint-Barthélemy du Béarn. » 10
Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1569, nouveau massacre dans la ville de Nîmes : plus de 125 victimes ; la plupart sont jetées dans le puits de l’évêché.
Ces quelques faits, ajoutés aux centaines d’autres, prouvent – s’il était besoin – que les victimes pendant les guerres de religion au XVIe siècle furent aussi et surtout catholiques.
Le nombre de martyrs
« On ne saurait faire fi des statistiques du XVIe siècle. Qu’elles soient sujettes à caution, nous n’y contredisons pas. Mais les chiffres sont des termes de comparaison facilement intelligibles et ceux que nous allons reproduire – relatifs au clergé – constituent sans conteste un élément d’évaluation morale du plus haut prix. » 11 Ainsi s’exprime Victor Carrière au moment d’évaluer le nombre des ecclésiastiques, et uniquement de ceux-ci, tués avant 1580 ; 12 son travail ne prend en compte ni les religieuses ni les séculiers.
La première statistique des ecclésiastiques victimes du fanatisme huguenot a été présentée par le cardinal de Lorraine au concile de Trente, le 23 novembre 1563. Huit mois après la première des huit guerres de religion, le cardinal annonçait aux Pères assemblés que les troubles récents avaient occasionné la mort de 3000 religieux français, tous martyrisés à cause de leur attachement au Siège apostolique. 13
Une seconde statistique, relative aux victimes du clergé pendant les deux premières guerres civiles, est fournie par une lettre du père Samerius, datée de Verdun, le 20 avril 1569. L’auteur, un jésuite, paraît avoir mené une enquête sérieuse. Il a lu non sans discernement les relations publiées sur le sujet ; il a interrogé de nombreux témoins parmi les pères de la Compagnie. S’il n’a pas recueilli un à un tous les faits qu’il rassemble, le chiffre des victimes auquel il s’arrête, celui de « 5000 et au-delà », 14 n’en revêt pas moins une autorité indéniable. C’est le chiffre, d’ailleurs, que reproduiront d’après lui Érasme Fend (Vendius) et, par la suite, Natale Conti (Natalis Comes) et Raynaldi (Raynaldus).
La statistique fameuse élaborée par Nicolas Froumenteau, en 1580, avance le nombre de 8 760 prêtres et religieux victimes. 15
A défaut des pièces elles-mêmes, qui eussent permis de refaire les opérations de détail, l’abbé Victor Carrière a voulu vérifier si les calculs de Froumenteau tombaient juste. En réunissant par catégories les chiffres épars dans le volume pour 92 diocèses, il obtint :
Chanoines, curés et prêtres : 3190
Moines : 998
Jacobins, Carmes, Augustins : 677
Cordeliers : 440
Total : 5305
De ces trois statistiques, ressort une évidence : le nombre des victimes, dans le seul rang des prêtres et des religieux, avant 1580, c’est-à-dire dix-huit ans avant la fin de la guerre civile, est au moins égal à 5000. Ces victimes innocentes ont été martyrisées avec un raffinement satanique, comme nous allons le voir.
Les supplices des martyrs
La passion antireligieuse des huguenots en vint rapidement à la persécution violente : « Si force épisodes de nos guerres religieuses peuvent se réclamer d’une atrocité classique, il en est d’autres, par centaines, qui affectent un caractère de férocité spécifiquement huguenot. Nous avons là-dessus le témoignage des contemporains et non des moindres. » 16
François de Guise écrit au duc de Wurtemberg : « Je voudrais qu’il m’eût coûté de mon sang et qu’eussiez vu la désolation et dérision de notable nombre de nos églises, la ruine qui est en aucunes de nos principales villes et la cruauté dont on a usé contre les prêtres et autres personnes de notre ancienne religion : je m’assure que les grosses larmes vous en tomberaient des yeux. » 17 Parlant des calvinistes : « Les nôtres,en Allemagne, sont tenus pour pire que les Turcs », écrit de son côté M. de Villers 18 au prince d’Orange.
Les protestants s’en prirent spécialement aux gens d’Église, « et ceux qu’ils trouvaient, ils les meurtrissaient des morts les plus étranges qu’oncques on ouït parler », raconte un viguier de Saint-Yrieix 19 en Limousin. Et Richard Verstegan, au terme d’une enquête sur les supplices appliqués en pays chrétien par les huguenots, concluait à bon droit que « les disciples de Calvin et de Bèze (qu’on appelle huguenots) sont les plus cruels et désireux du sang d’entre tous les hérétiques. » 20
Les atrocités huguenotes, âprement dénoncées par les publicistes au cours de l’année 1562, avaient vivement ému le gouvernement royal. On craignait que de telles révélations ne fissent obstacle à la politique de pacification religieuse qui s’imposait après la paix d’Amboise (19 mars 1563). Aussi deux livrets, qui avaient provoqué dans le pays de véhémentes colères : le Discours de Claude de Sainctes sur le saccagement des églises 21 et l’Histoire de Georges Bosquet sur les troubles de Toulouse, ces deux livrets furent-ils interdits, le premier à la demande de Condé, l’autre sur un arrêt du Conseil privé du roi, le 18 juin 1563. Les calvinistes toutefois ne se montrèrent pas satisfaits de ces mesures. Aux accusations des écrivains catholiques, ils opposèrent la négation la plus formelle. « Faussetés exécrables », s’écrie Louis Micqueau en 1564, disant les prêtres avoir été« par ceux de notre côté les uns écorchés, les autres crucifiés, les autres rôtis. »
On peut toujours nier un mauvais cas. Ce qui est plus difficile, c’est de détruire le bienfondé d’une accusation. Or, non seulement ces accusations n’étaient que trop fondées, mais leur nombre s’amplifia avec le temps. Deux recueils de documents sont à cet égard du plus haut intérêt : les Illustria Ecclesiæ catholicae trophoea d’Érasme Fend ou Vent (Vendius), imprimés à Munich en 1573, et le Théâtre des cruautés des hérétiques de nostre temps, publié par Richard Verstegan à Anvers en 1588. 22
Les Trophea ne constituent pas une œuvre originale. C’est la reproduction de trois mémoires historiques que leur nouvel éditeur, Érasme Fend, conseiller du duc Albert V de Bavière, présenta comme autant d’exemples fameux des fureurs exercées contre les catholiques en Angleterre, en Écosse et en France. « On est impressionné aux récits de ce florilège tragique, devant cette revue des victimes, des mutilés, des égorgés, des martyrisés qui ne sont que la représentation de centaines d’autres cas. » 23 Le dernier de ces mémoires est intitulé : Acta tumultuum Gallicanorum ab obitu Henrici regis, de anno nimirum 1569 usque ad memorabilem regis Caroli IX victoriam, anno 1570. 24
Le Théâtre des cruautés des hérétiques de notre temps obtint, quant à lui, un grand succès. L’auteur, Richard Verstegan, est né à Londres vers le milieu du siècle et fut obligé de s’expatrier pour échapper aux « lois de sang » de la reine Élizabeth Ière. Il se réfugia à Anvers et publia en 1588 son Théâtre des cruautés, ouvrage franc et rude, emprunté à une réalité d’autant plus impressionnante que se mêlent au récit de nombreuses compositions illustrées. « Texte et gravures offrent “un échantillon des actes horribles que les calvinistes ont commis et perpétrés tant en Flandres qu’en Angleterre, mais particulièrement au royaume de France”. C’est horrible et hallucinant. […] On touche ici au paroxysme de l’horreur tragique » constate Victor Carrière qui s’étonne que la valeur documentaire du recueil de Richard Vestegan ait été contestée au XIXe siècle alors que tous les témoignages contemporains prouvent la véracité des récits rapportés par le Théâtre des cruautés.
De nombreux exemples peuvent illustrer ces propos. Ainsi, les notices de Verstegan concernant la première Michelade de Nîmes du 30 septembre 1567 25 correspondent parfaitement aux récits des Archives du Gard 26 qui possèdent les pièces originales du procès fait aux massacreurs par le parlement de Toulouse en 1568. 27 Pareillement, les notices relatant les sauteries de Montbrison, 28 qui illustrèrent le nom du baron des Adrets (15 juillet 1562), corroborent les témoignages de G. de Saconnay, dans ses Discours des premiers troubles advenus à Lyon (Lyon, 1569) et ceux rapportés par Étienne du Tronchet dans ses Lettres missives (page 314) écrites en 1587. De même, encore, le récit de l’assassinat en mer, près de Palma, par des calvinistes français que commandait le corsaire Jacques Sourie, de quarante missionnaires jésuites qui s’en allaient sur le vaisseau Saint-Jacques prêcher l’Évangile au Brésil en juillet 1570 29 : les mêmes faits ont été rapportés par deux Portugais, témoins oculaires.
Victor Carrière conclut : « Toutefois, si parfaitement documenté qu’ait été l’auteur, ce qui le recommande plus particulièrement, c’est moins peut-être l’ampleur de son information que le fait supplémentaire d’avoir mis en scène les cas représentatifs d’une foule d’épisodes tout aussi abominables que certains. »
La férocité spécifiquement huguenote
« Ces épisodes tout aussi abominables que certains » rapportés par R. Verstegan et par de nombreux témoins oculaires doivent être mis sous les yeux du lecteur par souci de la vérité historique.
Les prêtres, les religieux et les religieuses sont les victimes privilégiées des huguenots. 30 La plupart meurent dagués, poignardés, arquebusés, égorgés, étranglés ou noyés dans les rivières. « Tout ce qu’une bestiale rage de meurtre peut inventer comme tortures est appliqué aux catholiques, coupables uniquement de vouloir rester fidèles à leur foi : on les enterre vifs, on les échaude dans l’huile bouillante, on leur arrache la langue, on retire les entrailles des corps vivants, et d’autres supplices plus atroces encore. » 31 Mais ce qui afflige plus cruellement la conscience humaine, ce sont les mutilations inutiles, les atrocités sans nom qui préludaient à l’assassinat de si généreuses victimes.
« Ce n’étaient plus des soldats, c’étaient des tigres que l’ivresse du sang mettait hors d’eux-mêmes » écrit le pasteur Puaux 32 en évoquant les sévices néroniens qu’exerça l’armée des Princes (Condé, Navarre, Coligny…) sur les habitants de l’Agenais dans les années 1569-1570. Une information officielle rédigée dans les jours qui suivirent leur départ (le 18 janvier 1570) révèle que les séditieux travaillaient « jusques aux pauvres laboureurs et leurs enfants, les tenaient prisonniers en grande détresse, pendus en l’air, ayant en l’entour de la tête une corde, et un billot au dernier pour leur faire rançonner or ou argent » ; à d’autres, ils mettaient « les gros pouces des mains dans les chaînes de leurs pistolets (à roue) » ou leur brûlaient la plante des pieds. 33
Les huguenots, qui l’ont appris des reîtres, usent spécialement de l’essorillement 34 à l’égard des ecclésiastiques. Ainsi les soldats de l’armée de Coligny, passant à Argentan le 17 mars 1563, massacrent plusieurs prêtres et, les ayant essorillés, ils en portent « l’évidence » en guise de bouquet à leurs chapeaux. 35 La chronique du couvent de Sainte-Claire d’Alençon signale l’impudence d’un gentilhomme du Poitou, seigneur de la Motte-Tibergeau, qui s’est acquis quelque renommée en tailladant ainsi les ministres de Jésus-Christ et qui s’affiche partout avec une bandoulière d’oreilles de prêtres en écharpe.
Les mutilations de la face sont assez souvent suivies de mort. Ainsi les Chroniques fontenaisiennes nous ont conservé le souvenir de la passion de Nicolas Moquet, ancien curé de Langon, martyrisé le 5 septembre 1568. Comme ce saint prêtre ne cessait de reprocher à ses tortionnaires leur apostasie, l’un d’eux, nommé Parent, lui enleva le nez, puis les oreilles et les deux yeux, après quoi il mit fin à ses jours en le jetant dans la rivière du Lay. 36 Pareillement, à Vire, un cordelier, Guillaume de Grandmont, eut les oreilles et le nez coupés avant d’être passé par les armes en 1568. 37
Autre supplice fort en vogue chez les huguenots : la pendaison. Ils en usent souvent envers le clergé. Si la manière d’opérer est différente suivant les bourreaux, le lieu du supplice est à l’ordinaire choisi bien en vue, afin de terroriser les vivants :
A Gouaix, en Seine-et-Marne, les huguenots pendent à la fenêtre d’une maison où il s’était caché, messire Jean d’Argent, 38 en 1567. A Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne, Pierre de Vérone et Jean Moret, tous deux franciscains, sont branchés à un arbre, face à la chapelle de la Vierge, en 1569. En la paroisse de Poix et à Moux, dans l’ancien diocèse d’Autun, les curés sont « pendus près le crucifix de leur église. » 39 A l’abbaye de Ferrières en Gâtinais, des moines sont contraints à pendre eux-mêmes leurs frères en religion, puis sont ensuite massacrés le 16 août 1569. 40
Renouvelant les scènes de persécution des premiers temps de l’Église, les disciples de Calvin outragent en mille rencontres les prêtres de Jésus-Christ. Dans l’Avranchin, le 10 septembre 1562, César de Brancas est attaché par eux à une colonne et martyrisé à coups d’épées et de hallebardes. 41 A Casteljaloux, des moines sont flagellés avec des fouets garnis de plomb, d’autres sont crucifiés en l’année 1568. En Bourgogne franciscaine, Vincent Fort, prédicateur, est traîné à la queue d’un cheval pendant deux lieues et roué de coups ; il était couvert de sang lorsqu’on s’arrête à la porte du village où il est enterré vivant dans une fosse, en sorte cependant que la tête et les bras étendus en croix émergent seuls du sol. Le matin, comme il est toujours vivant, les huguenots lui fendent la tête d’un coup de hallebarde. Louis Réau rapporte que d’autres malheureuses victimes furent éventrées et que « leurs ventres ouverts, bourrés d’avoine, servirent de mangeoires aux chevaux de reîtres huguenots. » 42 Victor Carrière ajoute :
« Sur le chapitre de l’horreur on serait intarissable : les cas typiques abondent où il faut à tout prix citer les faits particuliers. Pendant la deuxième guerre, près de Neuilly-Saint-Front, dans l’Aisne, les huguenots immobilisèrent un prêtre, bras et jambes liés, sur une pièce de bois et l’écorchèrent vif. Il respirait encore, lorsqu’ils l’abandonnèrent aux bêtes sur le bord de la route, après lui avoir recouvert le visage de la peau de son ventre détachée depuis le nombril. Vers le même temps, à Soissons, des gens qui s’en venaient de Coucy racontaient avoir vu à la lisière des bois deux prêtres attachés à des branches et suspendus par les parties viriles à quelques pieds de terre, les mains solidement liées derrière le dos. » 43
Les ecclésiastiques n’étaient pas seulement aveuglés ou essorillés, mais encore châtrés. Verstegan cite un chirurgien des compagnies de François de Béthune, père de Sully, qui, après avoir fait l’opération d’Origène à un ecclésiastique du village de Florent, dans la Marne, « se vanta que c’était le dix-septième qu’il avait accoutré de cette façon ».
Des récits dignes de foi attestent que, dans le Béarn, ce furent de véritables chasses qui étaient lancées contre les prêtres catholiques. Dans le gouffre de Saint-Sever, les calvinistes précipitèrent ainsi près de deux cents prêtres. 44
Le contemporain Claude Haton évoque à plusieurs reprises la férocité des réformés à l’encontre des séculiers ; s’emparant des riches marchands catholiques et des marguilliers, ils les « gehannoient et tourturoient par tourmens aultant et plus que cruels que jamais firent Turcs ni barbares à chrestiens pour leur faire déclarer où estoient les croix, calices et richesses des églises qu’ils ne trouvoient pas. » 45
A ces légions de saints martyrs, il convient d’ajouter le grand nombre de soldats des armées et des ligues catholiques, la multitude des civils, tombés sous les coups huguenots pour que la France reste chrétienne.
Honneurs que l’on doit rendre aux martyrs
« Quand on considère le geste des martyrs catholiques du XVIe siècle, on s’étonne que tant de sang glorieusement répandu pour la cause de l’Église et de son Christ ait empourpré si peu de pages de nos martyrologes diocésains. Serait-ce que les populations aient été indifférentes à la valeur du témoignage des martyrs ? Ou bien faut-il croire que les dépositions recueillies au cours des enquêtes consécutives aux massacres n’établissent pas suffisamment la cause du martyre de tant de morts héroïques ? Ni l’une ni l’autre de ces raisons ne sont admissibles » écrit l’Abbé Carrière. 46
Lorsque la persécution contre les catholiques prenait un caractère individuel et s’exerçait sur place par des cruautés isolées, des parents ou des amis s’empressaient tant bien que mal de rendre au martyr les derniers devoirs. La connaissance de l’héroïsme du martyr resta cependant locale. A Macheville en Vivarais, par exemple, quand Jacques de Chambaud eut fait massacrer les religieux du prieuré (3 mai 1587), des mains pieuses recueillirent les restes des martyrs et les déposèrent dans un caveau du cimetière, au-dessus duquel s’élève une chapelle dite des « Saints Os ». Les sept crânes des religieux ont d’ailleurs été retrouvés sous la chapelle en 1863. 47
Lorsqu’il s’est agi de la mise en œuvre « méthodique d’un plan infernal d’annihilation totale » d’un village ou d’une ville, comme ce fut le cas au diocèse de Tarbes, de 1570 à 1574, où la ville épiscopale fut « prise, saccagée et brûlée jusques à trois reprises, à ce point qu’elle demeura déserte pendant plusieurs années », 48 à défaut des reliques des martyrs, on retint une date mémorable comme le jour de leur mort, et la tradition s’institua gardienne du lieu de l’exécution. Puis les fidèles vinrent en pèlerinage aux lieux témoins de leurs supplices. Ainsi à Orthez, tout au long de l’Ancien Régime, la commémoration des centaines de victimes de Montgomery noyées dans le Gave ramenait le clergé en procession au pont de la ville plusieurs fois l’année, au chant de l’hymne des martyrs. En plusieurs églises du Béarn, des images étaient exposées à la vénération des fidèles qui représentaient les bienheureux dominicains Auger de Montaut et Raymond du Plan, tous deux martyrisés à Morlàas, l’un le 3 avril 1569, l’autre le 21 juillet 1570. D’autres exemples montreraient qu’en maints diocèses s’est maintenue la tradition du culte des martyrs de la Réforme.
« Mais quand bien même arriverait-on à recueillir beaucoup de faits de même genre, atténuerait-on l’impression fâcheuse que motivent trois siècles et plus d’indifférence générale à leur égard ? » interroge l’abbé Carrière. On voudrait connaître le motif de cet injuste délaissement, à tout le moins présenter une excuse qui vaille.
L’abbé Carrière l’explique tout d’abord par le peu d’empressement des contemporains à répandre le culte des martyrs. Mais, dit-il, « une autre raison qui vint par la suite renforcer encore cette indifférence initiale, c’est, si je ne m’abuse, la politique d’apaisement et d’oubli qui prévalut au lendemain de l’Édit de Nantes. »
En effet, après chaque édit de pacification au XVIe siècle et plus spécialement après l’Édit de Nantes, le mot d’ordre imposait le silence autour des horreurs précédemment commises. Non seulement on ne poursuivait pas les coupables, mais toute recherche dans les greffes, voire toute enquête canonique sur les victimes semblaient une provocation, presque un crime. De nombreux gentilshommes huguenots, revenus au catholicisme, s’étaient rendu accessibles les faveurs du souverain. « S’imagine-t-on dès lors leurs fils ou petit-fils, devenus d’église, et investis par la grâce du roi d’un canonicat ou d’une prébende, soucieux d’enquérir sur le pillage ou les massacres dont leurs bénéfices avaient été le théâtre, dont peut-être ils étaient les bénéficiaires ? … Ainsi fut dérobée à la connaissance de la postérité l’ampleur du témoignage que les catholiques français ont écrit de leur sang au cours des luttes du protestantisme. » 49
Conclusion
Il n’entre pas dans notre intention de mettre en avant la cause des martyrs du protestantisme français. Un jour viendra, sans doute, où les catholiques, moins indifférents à leur passé, voudront réparer l’injustice commise à l’égard de ces martyrs en glorifiant ouvertement tant de sang généreux versé pour la foi. Dans cette voie du souvenir et de la réparation, les catholiques anglais ont montré l’exemple en introduisant, dès 1874, le procès de béatification d’un grand nombre de martyrs de l’anglicanisme : par un décret en date du 9 décembre 1886, Léon XIII a confirmé le culte de cinquante-quatre martyrs anglais, dont dix-huit chartreux immolés sous Henri VIII. En 1889 et en 1895, soixante-neuf ont été béatifiés, deux cent cinquante-trois autres déclarés vénérables.
On peut certes regretter les quelques centaines de huguenots qui ont péri à Wassy ou lors de la Saint-Barthélemy, à l’unique condition de ne pas oublier les milliers de martyrs catholiques, d’établir avec équité les responsabilités, de ne pas confondre l’agresseur et l’agressé, le bourreau et la victime, le séditieux et le fidèle. Non, ce n’est pas à l’Église de demander pardon. Il est temps au contraire qu’elle tire de l’indifférence où ils sont ensevelis et honore enfin comme ils le méritent les milliers de martyrs du fanatisme protestant. Ce n’est peut-être pas dans l’air du temps, empesté d’œcuménisme. Mais c’est pourtant un rigoureux devoir de mémoire. »
Source : Michel FERRETI. Les victimes françaises du fanatisme huguenot au XVIe siècle.
1 Sous ce pseudonyme, se trouvent deux auteurs : un professeur de lettres et un professeur d’histoire.
2 Concernant le massacre de la Saint-Barthélemy, dans un livre intitulé : Les protestants à travers l’histoire, Monsieur De La Chambre-Mialet avance un chiffre de 786 victimes.
3 BOUCHE, Histoire de Provence, Aix, 1664, t. II, p. 628.
4 RÉAU L., ibid., p. 83.
5 DE VAISSIERE Pierre, Le Baron des Adrets, Paris, Firmin-Didot, 1930, p. 51.
6 ID., Ibid.
7 DE BEZE Théodore, Histoire ecclésiastique des églises réformées, Éd. Baum, t. II, p. 916.
8 DE BÈZE, ibid., t. II, p. 327-328.
9 ROUQUETTE abbé, Les Saint-Barthélemy protestantes, p. 41.
10 MARION, Histoire de l’Église, Paris, Téqui, 1942, 11e édition, t. III, p. 341.
11 CARRIERE Victor, Les Épreuves de l’Église de France au XVIe siècle, p. 235.
12 ID., ibid., p. 493.
13 Concilium Tridentinum, Éd. societas Gœrresiana t. IX, 1924, p. 1044. Voir aussi LE MIRE Aubert, auteur de seconde main, qui donne le chiffre de 4 000 religieux ou religieuses : « Intra unius anni spatium religiosorum hominum sexus utriusque millia quatuor mactata » voir Rerum belgicarum Chronicon, Anvers, 1635, p. 417.
14 PONCELET Alfred, Lettre inédite du P. Henri Samerius dans les Analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique, année 1912, tiré-à-part, p. 51.
15 FROUMENTEAU Nicolas, Le Secret des finances, IIIe partie, p. 378.
16 ID., ibid., t. III, p. 495.
17 Lettre du 22 mai 1562 aux Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents, Espagne, nº 318, Archives de Simancas, 2e série, t. I, fol. 40.
18 Au mois de mars 1580. Voir GROEN VAN PRINSTERER G., Archives de la maison d’Orange Nassau, 1ère série, t. VII, 1839, p. 272.
19 DE MONTEGUT H.B., Journal historique de Pierre de Jarrige, Angoulême, 1868, p. 55.
20 VERSTEGAN R., Théâtre des cruautés des hérétiques de nostre temps, Anvers, 1588, p. 5.
21 Discours sur le saccagement des églises par les hérétiques anciens et nouveaux calvinistes, en l’an 1562, Paris, Éd. C. Frémy, 1563, X, 100 fol. B.N. 8LB 3357 A.
22 Il faut rattacher à cette série d’ouvrages un poème manuscrit de 3 000 vers latins, divisé en quatre livres et illustré de trente-neuf dessins coloriés à l’aquarelle. C’est l’histoire des guerres de religion et, sans chronologie précise, le récit des cruautés huguenotes depuis le tumulte d’Amboise (1560) jusqu’à la prise d’Issoire (1577).
23 CARRIÈRE V., ibid., p. 450.
24 HAUSER Henri en a publié une traduction française dans la Revue historique, t. CVIII et CIX, (1911-1912). Cette traduction accompagnée du texte latin a fait l’objet d’un tirage à part. Les Acta tumultuum gallicanorum, Paris, 1912, 71 p. Cette traduction et les notes qui l’accompagnent ont été reprises et corrigées par le R.P. Poncelet dans sa publication de la Lettre inédite du P. Henri Samerius.
25 Théâtre des cruautés, éd. 1588, p. 52.
26 Reg. 807 et 808.
27 Il en existe une copie à la Bibliothèque de Nîmes.
28 Théâtre des cruautés, p. 50.
29 Théâtre des cruautés, p. 54.
30 Il faut savoir que « la fréquence de certains supplices caractérise un état pathologique particulier aux tortionnaires de la secte : c’est le raffinement des cruautés et l’obscénité de leurs tortures à l’égard des prêtres et des moines » précise l’abbé Victor Carrière.
31 PASTOR Louis, Histoire des papes depuis la fin du Moyen Age, Paris, Plon, 1938, p. 421.
32 Histoire de la Réformation française, t. II, Paris, 1859, p. 277.
33 Voir Archives historiques de la Gironde, t. XXIX, p. 72-73.
34 Action consistant à couper les oreilles. (NDLR.)
35 BLIN abbé, Petit tableau des ravages faits par les huguenots dans le diocèse de Séez, p. 27-28, d’après la Description… de la ville d’Argentan de l’abbé DE COURTEILLES (1693), maison de la bibliothèque d’Argentan. Voir DE BOURGUEVILLE Charles, Les Recherches et antiquitez de la ville de Caen, p. 181.
36 Archives historiques du Bas-Poitou, t. I, p. 113.
37 GONZAGUA F., De origine seraphicæ religionis Franciscanæ, 1587, p. 589.
38 BOURQUELOT F., Mémoires de Claude Haton, t. I, p. 489
39 Archives Nationales, G8* 1239, nº 101.
40 Voir CARRIERE V., ibid., p. 501.
41 CHAMBLAY Dr et DUVAL L., « Documents historiques et religieux au couvent de Sainte-Claire d’Alençon » dans le Bulletin de la société historique de l’Orne, t. II, 1883, p. 138.
42 RÉAU L., ibid., p. 84.
43 Voir Journal de Dom Lépaulart, p. 81, in CARRIERE, ibid.
44 POYDAVANT, Histoire des troubles de Béarn, Pau, 1820, t. I, p. 381. Voir aussi DE BOYSSON R., L’Invasion calviniste en Bas-Limousin, Paris, 1920, et ROUQUETTE abbé, Les Saint-Barthélemy calvinistes, Paris, 1906. Voir en annexe le martyre de plusieurs fils de Saint Dominique.
45 HATON Claude, Mémoires contenant le récit des événements accomplis de 1553 à 1582 principalement en Champagne et dans la Brie, F. Bourquelot (éd.), Paris, Imprimerie Impériale, 1857, 2 vol., t. I, p. 249. Voir également t. II, p. 445 et 491.
46 Les Épreuves de l’Église de France au XVIe siècle, p. 503.
47 TARTARY R., « Le Prieuré et l’église de Macheville », dans la Revue du Vivarais, 1902, p. 57-75.
48 DURIER Ch. et de CARSELADE-DUPONT J., Les Huguenots en Bigorre, p. 7.
49 CARRIÈRE V., ibid., p. 504.