« Le matin à votre réveil, votre première pensée sera d’élever votre cœur à Dieu, et de lui offrir tout ce que vous ferez et souffrirez durant le jour, vous le prierez de vous aider de sa grâce. Faites ensuite les autres actes que tout chrétien doit faire le matin, actes de remerciement et d’amour, de demande, de bon propos, et résolution de passer cette journée comme si c’était la dernière de votre vie. Suivant le conseil du père Saint- Jure, vous pourrez, chaque matin, faire avec Dieu cette convention, qu’à toute répétition d’un certain signe, comme serait de porter la main au cœur, de lever les yeux au Ciel, de regarder le crucifix, vous aurez l’intention de lui exprimer votre amour, votre désir de le voir aimé de tous les hommes, l’offrande de vous-même, et autres semblables. Après les actes susdits, vous étant placée dans le sacré côté de Jésus et sous le manteau de Marie, ayant prié le Père éternel de vous garder pendant ce jour pour l’amour de Jésus et de Marie, tâchez au plus tôt, et avant toute autre action, de faire oraison ou méditation au moins durant une demi-heure. Aimez surtout à méditer sur les douleurs et les mépris que Jésus-Christ souffrit dans sa passion ; c’est le sujet le plus cher aux âmes ferventes, et qui mieux qu’aucun autre les enflamme de l’amour divin. Trois dévotions doivent entre toutes vous être à cœur, si vous voulez avancer dans la vie spirituelle : la dévotion à la passion de Jésus-Christ, la dévotion au très saint Sacrement, la dévotion à la très sainte Vierge Marie. Dans l’oraison, répétez souvent les actes de contrition, d’amour de Dieu, et d’offrande de vous-même. Le vénérable père Charles Caraffa, fondateur des Pieux Ouvriers, disait qu’un acte fervent d’amour de Dieu, fait le matin dans l’oraison, suffit pour tenir l’âme dans la ferveur toute la journée.
Acquittez-vous avec soin de vos autres exercices de piété, tels que la confession, la communion, l’office divin, etc. Quand vous devez vous livrer aux occupations extérieures, à l’étude, au travail ou autres devoirs propres de votre état, n’oubliez pas au commencement de chaque action, de l’offrir à Dieu, en lui demandant son assistance pour la faire comme il faut ; ne manquez pas non plus de vous retirer souvent, à l’exemple de sainte Catherine de Sienne, dans la cellule de votre cœur pour vous unir à Dieu. En un mot, quoique vous fassiez, faites-le avec Dieu et pour Dieu. En sortant de votre chambre ou de votre maison, et en y entrant, recommandez-vous toujours à la divine Mère par un Ave Maria. En vous mettant à table, offrez à Dieu tout ce que vous éprouverez de dégoût et de plaisir dans le boire et le manger et à la fin du repas, rendez grâces en disant : ” Seigneur, que de bien vous faites à qui vous a tant offensé ! ” Dans la journée, n’oubliez pas votre lecture spirituelle, ni la visite au très saint Sacrement et à Marie. Le soir récitez le Rosaire, et faites l’examen de conscience suivi des actes de foi, d’espérance, de charité, de contrition, de bon propos, avec l’intention de recevoir pendant votre vie et à l’heure de votre mort les sacrements de l’Eglise, et de gagner les indulgences qui y sont attachées. En vous mettant au lit, pensez que vous devriez être dans le feu de l’enfer ; endormez-vous en tenant embrassé le Crucifix et en disant Comptant sur la protection du Seigneur, je dormirai et reposerai en paix. [1] Ps. 4. 9.
Afin que votre vie entière se passe dans le recueillement et l’union avec Dieu, efforcez-vous de tirer parti de tout ce que vous voyez ou entendez, pour élever vos pensées vers Dieu ou vous rappeler les choses de l’éternité. Quand vous voyez, par exemple, couler une liqueur ; songez que votre vie s’écoule de même et que vous approchez de la mort. Quand vous voyez une lampe qui s’éteint par défaut d’huile ; songez que votre vie doit un jour finir ainsi. A l’aspect d’une tombe, d’un cadavre, considérez ce que vous deviendrez vous-même. Quand vous voyez les grands de la terre s’applaudir de leurs dignités ou de leurs richesses, compatissez à leur folie et dites Pour moi, “Dieu me suffit. Ils mettent leur confiance, ceux-ci dans leurs chars, ceux-là dans leurs chevaux ; mais nous, mettons la nôtre dans le nom du Seigneur. [2]Ps. 19. 8. Ils se glorifient de ce qui n’est que vanité ; quant à moi, jouir de la grâce de Dieu et l’aimer, voilà la gloire à laquelle j’aspire.” Quand vous assistez à de pompeuses obsèques, que vous considérez les tombeaux magnifiques des princes, dites-vous à vous-même : “S’ils sont damnés, que leur sert cette pompe ?” La vue de la mer tranquille ou agitée, vous fera penser à une âme en état de grâce ou de péché. Un arbre desséché vous offrira l’image d’une âme séparée de Dieu, et qui n’est bonne qu’à être jetée au feu. S’il vous arrive de rencontrer une personne coupable de quelque faute grave, tremblant de honte ou de crainte devant son juge, son père, ou tout autre supérieur, représentez-vous quelle doit être la terreur du pécheur au tribunal de Jésus-Christ. Si le tonnerre vous inspire quelque frayeur, songez à celle des malheureux damnés, qui entendent continuellement dans l’enfer les tonnerres de la vengeance divine. Si vous entendez un condamné à mort s’affliger et dire Il n’y a donc pas moyen d’échapper à la mort ! considérez quel doit être le désespoir d’une âme condamnée à l’enfer, et qui s’écrie : il n’y a donc plus de remède à ma perte éternelle !
Quand vous regardez les campagnes, les rivages, les fleurs, les fruits, dont la vue ou l’odeur vous réjouit, dites : “Que de belles créatures le Seigneur a placées pour moi sur la terre, afin que je l’aime ! et quelles délices il me réserve dans le Ciel !” En voyant de belles collines ou de belles plaines, sainte Thérèse disait qu’elles lui reprochaient son ingratitude envers Dieu ; et l’abbé de Rancé, fondateur de la Trappe, que ces admirables créatures lui rappelaient l’obligation d’aimer Dieu. De même saint Augustin : « Seigneur, s’écriait-il, le Ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment, me disent de vous aimer. [3] Conf. 1. 10. c. 6. » On raconte d’un pieux serviteur de Dieu, qu’en passant dans les champs, il frappait de son bâton les fleurs et les plantes, et leur disait : « Taisez-vous, ne me reprochez plus mon ingratitude envers le Seigneur ; je vous entends, taisez-vous, c’est assez. » Lorsque sainte Marie-Madeleine de Pazzi avait à la main un beau fruit, une belle fleur, elle se sentait le cœur percé d’un trait d’amour pour Dieu, à cette réflexion : « Mon Dieu a donc pensé dès l’éternité à créer ce fruit, cette fleur, pour me donner une marque de son amour. »
Un fleuve ou un ruisseau doit vous rappeler que, comme ces eaux vont à la mer sans jamais s’arrêter, vous devez courir sans cesse à Dieu, qui est votre unique bien. Quand il vous arrive de voyager en voiture, remarquez comme d’innocents animaux se fatiguent pour votre service, et demandez-vous quelle peine vous prenez pour le service et le bon plaisir de Dieu. Vos yeux s’arrêtent-ils sur cet autre animal, qui paie de tant de fidélité à son maître le morceau de pain qu’il en reçoit ? Songez que vous devez vous montrer bien plus fidèle à Dieu de qui vous tenez l’existence, qui vous conserve, pourvoit à tous vos besoins, et vous comble de bienfaits. Entendez-vous le chant des oiseaux ? dites-vous à vous-même : “Ecoute, mon cœur, comme ces êtres privés de raison louent leur Créateur ; et toi, que fais-tu ?” et puis, louez-le aussi par un acte d’amour. Mais, si c’est le chant du coq, rappelez-vous qu’il fut un temps où, comme saint Pierre, vous reniâtes votre Dieu ; renouvelez alors vos regrets et vos larmes. De même, lorsque vous apercevez telle maison, tel endroit, où vous avez autrefois péché, tournez-vous vers le Seigneur en lui disant : Daignez, mon Dieu, ne plus vous souvenir des péchés de ma jeunesse, ni de mes égarements. [4] Ps. 24. 7.
A la vue des vallées, fertilisées par les eaux qui descendent des montagnes, pensez qu’ainsi les grâces du ciel descendent sur les humbles et s’éloignent des superbes. En présence de la mer, rappelez-vous la grandeur et l’immensité de Dieu. Qu’une église bien construite et bien ornée, vous fasse penser à la beauté du vrai temple du Seigneur, c’est-à-dire de l’âme en état de grâce. Si vous voyez du feu ou des cierges allumés sur un autel, dites : “Combien d’années y a t-il que je devrais brûler en enfer ? Ah ! puisque vous m’avez épargné ce supplice, faites, Seigneur, que mon cœur brûle d’amour pour vous, et se consume comme ces cierges, comme ce bois”. Quand vous contemplez le ciel étoilé, dites avec saint André d’Avellin : « Ces astres seront un jour sous mes pieds ! »
Rappelez-vous aussi fréquemment les mystères d’amour qui regardent notre divin Sauveur, et quand vous voyez de la paille, une crèche, une grotte, souvenez-vous de l’Enfant Jésus dans l’étable de Bethléem. Si c’est une scie, un marteau, des solives, une hache, pensez à Jésus travaillant comme un simple ouvrier dans la boutique de Nazareth. Si ce sont des cordes, des épines, des clous, une pièce de bois, songez aux douleurs et à la mort de notre Rédempteur. Saint François d’Assise ne pouvait rencontrer un agneau sans s’attendrir jusqu’aux larmes : « Hélas ! soupirait-il, mon divin Maître s’est laissé conduire à la mort comme un agneau pour l’amour de moi ! » Enfin, en voyant un autel, un calice, une chasuble, rappelez-vous le grand amour que Jésus-Christ nous a témoigné, en se donnant à nous dans le sacrement de l’Eucharistie.
A l’exemple de sainte Thérèse, offrez-vous souvent à Dieu dans le courant de la journée, en lui disant “Seigneur, me voici, faites de moi ce qu’il vous plaît ; que dois-je faire pour votre service ? dites-le-moi, je suis prêt à vous obéir.”
Multipliez le plus que vous pourrez, les actes d’amour de Dieu. Ces actes, disait sainte Thérèse, sont le bois qui entretient dans notre cœur le feu du saint amour. La vénérable sœur Séraphine de Capri, regardant un jour le mulet de son monastère, se prit à considérer qu’il n’avait pas la faculté d’aimer Dieu, et touchée de compassion à cette pensée, elle s’écria : « Pauvre bête, tu ne sais, tu ne peux aimer ton Dieu. » Et aussitôt, ô prodige, l’animal se mit à verser des larmes, au point qu’on les voyait couler par torrents de ses yeux. Suivez l’exemple de cette sainte religieuse ; et que la vue des êtres incapables de connaître Dieu et de l’aimer, vous excite à profiter de votre nature intelligente pour produire de nombreux actes d’amour.
Quand vous tombez dans quelque faute, ne tardez pas à vous humilier, et tâchez de vous relever par un acte d’amour plus fervent.
Quand il vous arrive quelque chose de fâcheux, offrez aussitôt votre peine au Seigneur, et conformez-vous à sa sainte volonté ; accoutumez-vous à répéter dans toutes les contrariétés : “Dieu le veut ainsi, ainsi je le veux.” Les actes de résignation sont les actes d’amour les plus chers et les plus agréables au cœur de Dieu.
Avez-vous à prendre une résolution, à donner un conseil de quelque importance ? Recommandez-vous d’abord à Dieu, et puis agissez ou répondez. A l’imitation de sainte Rose de Lima, répétez le plus souvent possible dans le courant de la journée, la prière : “Seigneur, venez à mon aide, [5]Ps. 60, 2, ne m’abandonnez pas à ma faiblesse.”
Pour obtenir le secours de Dieu, jetez souvent les yeux sur le crucifix ou sur l’image de la bienheureuse Vierge, que vous devez avoir dans votre chambre ; n’oubliez-pas d’invoquer fréquemment les noms de Jésus et de Marie, surtout dans les tentations. Dieu, dont la bonté est infinie, désire extrêmement nous combler de ses faveurs. Le vénérable père Balthazar Alvarez a vu un jour Jésus-Christ les mains pleines de grâces, et cherchant à qui les distribuer ; mais le Seigneur veut que nous les sollicitions : Demandez, dit-il, et vous recevrez ; [6]Jo. 16. 24, faute de quoi il retire sa main : au contraire, il l’ouvre volontiers à ceux qui l’invoquent. Dieu méprisa-t-il jamais la prière de celui qui l’invoquait, [7]Eccli. 2. 12. demande l’Ecclésiastique ; refusa-t-il jamais de l’exaucer ? Et selon David, Dieu ne se montre pas seulement miséricordieux, mais très miséricordieux envers ceux qui le prient : Seigneur, lui dit-il, vous êtes plein de douceur, de bonté et d’une grande miséricorde pour tous ceux qui vous appellent à leur aide. [8]Ps. 85. 5.
Oh ! que le Seigneur est bon et libéral à l’égard d’une âme qui le cherche [9]Th. n. 3. 25. avec amour ! Si, comme il le déclare par la bouche d’Isaïe, il va jusqu’à se faire trouver par ceux-là même qui ne le cherchait point, [10]Rom. 10, 20. avec combien plus d’empressement il ira au-devant de quiconque le cherche dans le dessein de le servir et de l’aimer !
Enfin, selon sainte Thérèse, les âmes justes doivent, dans la pratique de l’amour, se conformer sur cette terre aux âmes bienheureuses qui sont déjà au ciel. Dans le ciel, les saints ne traitent qu’avec Dieu ; toutes leurs pensées se rapportent à sa gloire, tout leur plaisir est de l’aimer ; il doit en être ainsi de vous. Que Dieu soit donc en ce monde votre unique bonheur, l’unique objet de vos affections, l’unique fin de toutes vos actions et de tous vos désirs, jusqu’à ce que vous arriviez au royaume éternel, où votre amour sera en tout parfait et consommé, où vos désirs seront pleinement accomplis et satisfaits. »
Extrait de : Les plus belles prières de Saint Alphonse de Liguori Tome I. Editions Saint-Rémi p.117
Notes