« que l’Eglise soit indéfectible est vérité de foi catholique, clairement contenue dans la Sainte Ecriture et enseignée par le magistère ordinaire(…) Ce concept inclut: a) la durée perpétuelle ou pérennité de l’Eglise; b) la persévérance de cette même Eglise en ce qui constitue son essence, c’est-à-dire dans sa constitution et dans ses propriétés spécifiques. Il s’ensuit qu’à cause de l’indéfectibilité l’Eglise demeurera toujours identique à elle-même, et ne perdra aucune de ses notes. Entendue ainsi, l’indéfectibilité renferme toutes les autres propriétés de l’Eglise : constitution hiérarchique et monarchique, infaillibilité, visibilité”
Enciclopedia Cattolica, rubrique ‘indéfectibilité de l’Eglise’, vol. VI, colonne 1792-1794
Pour approfondir l’étude du concept d’indéfectibilité nous présentons ici une traduction d’un texte du révérend Père E. Sylvester Berry consacré à ce sujet. Il s’agit du Chapitre II de son manuel de théologie et d’apologétique: « L’Eglise du Christ: Traité d’Apologétique et de Théologie dogmatique. » 1927 (Nihil Obstat : Joannes Rothensteiner / Imprimatur : Joannes J.Glennon)
Texte original en anglais. Traduction en français : Brice Michel
CHAPITRE II. LES ATTRIBUTS DE L’ÉGLISE
L’Église est la société que le Christ a instituée pour perpétuer sa mission sur terre. L’Eglise doit posséder certaines qualités qui sont nécessaires à la réalisation de cette oeuvre. Ces qualités nécessaires sont ces qualités si essentiellement liées à la nature de l’Église que si elle devait perdre l’une d’entre elles, alors l’Église deviendrait autre que celle établie par le Christ. La perte d’une de ces qualités essentielles la rendrait donc incapable d’accomplir sa fin. En se fondant sur les enseignements du Christ et de ses apôtres, les prophéties et les écrits des Pères de l’Eglise, on verra que les principales qualités ou caractères que l’Église possède par essence sont : l’unité, la sainteté, la catholicité, l’apostolicité, la perpétuité, l’indéfectibilité, la visibilité et l’infaillibilité. Les quatre premières d’entre elles sont connues des théologiens comme étant des propriétés. Elles se manifestent extérieurement et servent à identifier la véritable Église du Christ (NDLR : en français on parle de « marques » ou de « notes » de l’Eglise). Les autres qualités, n’étant pas visibles extérieurement, sont appelées attributs ou prérogatives, — en latin : dotes.
Pour des raisons pratiques, les attributs de l’Église seront traités séparément dans le présent chapitre ; la perpétuité et l’indéfectibilité étant intimement liées, elles seront considérées ensemble dans le premier article. La visibilité sera traitée séparément dans un second article. L’infaillibilité sera traitée en profondeur dans une autre partie de cet ouvrage.
ARTICLE I : L’ INDEFECTIBILITE PERPETUELLE DE L’EGLISE
§1. La nature de l’indéfectibilité
La notion d’indéfectibilité est indiquée par le mot lui-même qui est dérivé du latin in (ne pas) et deficere (échouer). L’indéfectibilité est donc l’incapacité de faire défection, de cesser ou de périr. Lorsqu’on l’applique à l’Église, cela signifie que tant qu’elle continue d’exister, elle ne peut être privée d’aucune de ses prérogatives ou qualités essentielles. La perpétuité est l’impossibilité de cesser d’exister. Au sens strict, l’indéfectibilité appartient à l’essence de l’Église ; la perpétuité, à son existence. Ces deux attributs, bien que réellement distincts, sont si étroitement liés qu’il est difficile de les traiter séparément. Si l’Église est indéfectible dans ses qualités essentielles et perpétuelle dans son existence, elle est nécessairement perpétuellement indéfectible dans toutes ses qualités essentielles. Par conséquent, on peut combiner les deux attributs et parler « d’indéfectibilité perpétuelle » de l’Eglise.
Notons que l’indéfectibilité n’exclut pas des changements accidentels secondaires intervenant dans le processus de croissance, de développement et d’adaptation de l’Église à son environnement. Au fur et à mesure que le nombre de fidèles augmente et que l’Eglise s’étend géographiquement, de nouvelles institutions sont nécessaires pour faire face à ses activités accrues. En réponse à ces évolutions, des archidiocèses et des patriarcats ont été introduits, des ordres religieux établis, des écoles et d’autres institutions fondées. Les rites et les cérémonies, la célébration des fêtes, les lois du jeûne et de l’abstinence et d’autres règlements disciplinaires peuvent être modifiés en fonction des besoins du temps et du lieu. Tous ces changements sont des changements d’ordre accidentel. Cela montre que l’Église est un organisme vivant qui peut conserver son identité sans perdre sa vie, et conserver sa vie sans perdre son identité ; qui peut élargir ses enseignements sans toutefois les modifier ; qui reste identique à elle-même, en étant pourtant toujours en développement.
L’indéfectibilité a été promise à l’Église dans son ensemble mais non à ses parties prises séparément. Les Eglises particulières peuvent faire défection; même l’Église de toute une nation peut faire défection comme l’histoire le prouve abondamment. Le Siège Apostolique de Rome est la seule Église particulière à laquelle la promesse d’indéfectibilité perpétuelle a été faite.(…)
Le modernisme soutient que l’Église ne peut pas être indéfectible, car elle est le résultat de l’évolution et donc continuellement soumise à des processus évolutifs qui affectent sa constitution même. « La constitution organique de l’Église n’est pas immuable ; la société chrétienne, comme la société humaine, est sujette à une perpétuelle évolution. » (proposition condamnée [1]Denzinger, n. 2053. (…)
§ 3. L’Église du Christ perpétuellement indéfectible
Proposition : l’Église du Christ est perpétuellement indéfectible dans tous ses attributs et propriétés.
Cette proposition ne détermine pas les attributs et les propriétés de l’Église ; elle indique simplement que quelles que soient ces propriétés et ces attributs, l’Eglise ne peut perdre aucun d’entre eux, ni cesser d’exister. En d’autres termes, cela signifie que l’Eglise fondée par le Christ doit exister jusqu’à la fin des temps. Pris dans ce sens général cette proposition est dite « proxima fidei », c’est-à-dire qu’elle est quasiment un article de foi, car elle est implicite dans cet énoncé du Concile Vatican I : « L’éternel pasteur et gardien de nos âmes [1 P 2, 26], pour perpétuer (perenne reddere) l’oeuvre salutaire de la Rédemption, a décidé d’édifier la sainte Église… ».[2]Denzinger n.1821 Cette doctrine est également implicite dans la condamnation de cette proposition du modernisme : « La constitution organique de l’Église n’est pas immuable » [3]décret Lamentabili sane Exitu.3 juillet 1907 Denzinger, n. 2053 . Léon XIII va dans le même sens lorsqu’il a écrit: « La mission de l’Eglise est donc de répandre au loin parmi les hommes et d’étendre à tous les âges le salut opéré par Jésus-Christ et tous les bienfaits qui en découlent. C’est pourquoi, d’après la volonté de son Fondateur, il est nécessaire qu’elle soit unique dans toute l’étendue du monde, dans toute la durée des temps » [4]Léon XIII, “Satis cognitum,” 29 juin, 1896; Denzinger, n. 1955.
Preuve.
I : Par la raison.
Le Christ a institué l’Église pour le salut de tous les hommes, et l’a dotée de certains pouvoirs et certaines propriétés nécessaires à cette œuvre. Si l’Église devait perdre l’une de ces qualités nécessaires, elle serait incapable de faire ce que le Christ voulait qu’elle fasse ; en fait, elle cesserait d’être l’Église instituée par Lui. De plus, si l’Église pouvait faire défection dans l’un de ses éléments essentiels, même pour un temps, elle perdrait toute autorité pour enseigner et gouverner, parce que les fidèles ne pourraient jamais être certains, à aucun moment, qu’elle n’a pas fait défection -qu’elle n’a pas cessé d’être l’Église du Christ, ce qui lui ferait perdre ainsi toute autorité. Mais une autorité dont on peut légitiment douter à tout moment n’est pas une autorité ; elle ne requiert ni obéissance ni respect, comme cela se voit dans les églises qui rejettent toute prétention à l’indéfectibilité.
II. Par les Écritures.
a) Prophéties.
Daniel représente l’Église du Christ comme un royaume à jamais invaincu et invincible. « Dans le temps de ces rois, le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit, et dont la domination ne sera point abandonnée à un autre peuple ; il brisera et anéantira tous ces royaumes-là, et lui-même subsistera à jamais.» (Dan 2,44) Isaïe dit : « un enfant nous est né, un fils nous a été donné; l’empire a été posé sur ses épaules …pour étendre l’empire et pour donner une paix sans fin au trône de David et à sa royauté, pour l’établir et l’affermir dans le droit et dans la justice, dès maintenant et à toujours. » Isaïe (9, 5-7) Selon ces prophéties, il fut annoncé que : « le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père…et son règne n’aura point de fin.” (Luc 1,32) Dans ces passages, le « Royaume » ne peut faire référence à autre chose que l’Église qui devait être établie par notre Seigneur.
b) Témoignage du Christ.
« Et moi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle.» ( Mat 16,18) L’Église est une forteresse imprenable bâtie sur un solide fondement, une pierre vivante, une forteresse à laquelle les forces des ténèbres ne cesseront de s’attaquer, mais en vain. Aucune force, interne ou externe, ne peut la faire s’effondrer. Le Christ est l’homme sage, qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas été renversée, car elle était fondée sur la pierre. » ( Mat 7 : 24,25)
Lorsque Notre-Seigneur a institué l’Église en envoyant les Apôtres avec autorité pour enseigner, gouverner et sanctifier les hommes, Il a dit : « voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mat 28,20) Par ces mots le Christ a promis d’être avec Son Église, la protégeant à tout moment, jusqu’à la fin du monde. Mais si le Christ est avec l’Église, qui pourra prévaloir contre elle? (Mat 16,18) [5]Les villes antiques étaient entourées de hauts murs pour les protéger contre leurs ennemis. L’entrée de la ville se faisait par des portes dans ses murs. Avant l’invention des … Continue reading
Notre-Seigneur compare aussi son Église à un champ où le blé et l’ivraie poussent ensemble jusqu’à la moisson qui, nous dit-il, sera faite à la fin du monde. Par conséquent, l’Église doit rester inchangée jusqu’à la fin, car, bien qu’elle contienne beaucoup d’ivraie, elle reste toujours un champ de blé.
c) Témoignage de saint Paul.
Dans son épître aux Hébreux, saint Paul fait une longue comparaison entre l’Église et la synagogue. Il représente la première comme permanente, la seconde comme transitoire. Il cite les paroles du prophète Aggée : « Une fois encore, et ce sera dans peu, j’ébranlerai les cieux et la terre, la mer et le continent.» (Aggée, 2,6) et les applique à l’ancienne loi en disant : « Ces mots « Une fois encore », indiquent le changement des choses qui vont être ébranlées comme ayant eu leur accomplissement, afin que celles qui ne doivent pas être ébranlées subsistent à jamais. Ainsi, puisque nous rentrons en possession d’un royaume qui ne sera point ébranlé, retenons fermement la grâce. » (Heb 12, 26-28) Dans ce passage, saint Paul dit clairement qu’aux institutions temporaires de la Loi Ancienne a succédé le Royaume immuable du la Loi Nouvelle. L’Église, royaume immuable de la Loi Nouvelle, doit donc être perpétuelle et indéfectible.
III. Par la Tradition.
a) Pseudo-Ambroise, auteur d’un ancien ouvrage autrefois attribué à saint Ambroise, se réfère explicitement à l’indéfectibilité de l’Église : « Nous voyons l’Église comme un navire naviguant sur les mers de ce monde. . . bien que secoué par les tempêtes et secoué par les vagues, il ne peut jamais subir de naufrage parce que le Christ est attaché à son mât qui est la croix, le Père trône sur sa poupe et le Saint-Esprit le Paraclet, guide la proue tel son timonier. À travers le détroit du monde, douze rameurs [les apôtres] le guident en toute sécurité jusqu’au port… il ne peut jamais s’écraser sur les rochers ni sombrer dans les abîmes ».[6] Pseudo-Ambroise « Sermo de Salomone » ; PL, 17. 697.
6) Saint Chrysostome n’est pas moins affirmatif dans ses déclarations : « Ne vous éloignez pas de l’Église, car il n’y a rien de plus fort que l’Église. L’Église est votre espérance ; l’Église est votre salut ; l’Église est votre refuge. Elle est plus haute que le ciel et plus large que la terre. Elle ne vieillit jamais, éternelle est sa vigueur. C’est pourquoi l’Écriture, voulant montrer sa fermeté et sa stabilité, l’appelle une montagne. » [7]St_ Jean Chrysostome, « Quod Christus sit Deus » ; P. G, 52, 402
c) Saint Augustin dit : « L’Église ne peut être vaincue ni déracinée ; elle ne peut succomber à aucune épreuve jusqu’à la fin du monde. » [8]St Augustin, « Enarratio in Ps », 62, PL, 36, 726.
d) Saint Jérôme exprime une croyance similaire : « Nous savons que l’Église sera en proie aux persécutions jusqu’à la fin du monde, mais elle ne peut être détruite ; elle sera éprouvée, mais non vaincue car les promesses du Dieu tout-puissant sont irrévocables » ” [9] St Jérôme, « In Isaiam », IV, 6 ; PL, 24, 74
Notes
↑1 | Denzinger, n. 2053. |
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↑2 | Denzinger n.1821 |
↑3 | décret Lamentabili sane Exitu.3 juillet 1907 Denzinger, n. 2053 |
↑4 | Léon XIII, “Satis cognitum,” 29 juin, 1896; Denzinger, n. 1955. |
↑5 | Les villes antiques étaient entourées de hauts murs pour les protéger contre leurs ennemis. L’entrée de la ville se faisait par des portes dans ses murs. Avant l’invention des béliers, la force d’une ville résidait dans la force de ses portes. Pour cette raison, les portes sont rapidement devenues synonymes de force ou de puissance. Par conséquent, les portes de l’enfer se réfèrent aux forces du mal, dont le Christ savait bien qu’elles seraient lâchées contre Son Église. De nombreux érudits non catholiques considèrent les portes de l’enfer comme l’équivalent du shéol f.¢., le lieu des morts, puis la mort elle-même. Prises dans ce sens, les paroles du Christ sont encore plus fortes, car si la mort ne peut jamais prévaloir contre l’Église, cela signifie elle ne peut ni périr ni échouer. La mort d’une société ne peut être que sa destruction par dissolution ou par changement substantiel |
↑6 | Pseudo-Ambroise « Sermo de Salomone » ; PL, 17. 697. |
↑7 | St_ Jean Chrysostome, « Quod Christus sit Deus » ; P. G, 52, 402 |
↑8 | St Augustin, « Enarratio in Ps », 62, PL, 36, 726. |
↑9 | St Jérôme, « In Isaiam », IV, 6 ; PL, 24, 74 |