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Le sédévacantisme contredit-il la théologie ?

Par Chris Jackson
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Comment expliquer l’indéfectibilité de l’Eglise lorsque la hiérarchie a défailli ?

Traduction de l’article : « A Sedevacantist Thought Experiment », écrit par Chris Jackson, originalement paru en anglais.

Introduction : la question de la juridiction dans le paradigme sédévacantiste

« Je ne suis pas sédévacantiste. Cependant, cet article propose une analyse théologique : est-il possible que l’Église conserve l’apostolicité formelle sans un pape régnant ou sans évêques missionnés canoniquement par un vrai pape ? Ces réflexions sont suscitées par la position sédévacantiste, à savoir cette position selon laquelle ceux prétendant détenir l’autorité au Vatican depuis Vatican II, en incluant les papes post-conciliaires et tous les évêques ayant juridiction ordinaire, ont apostasié la foi catholique.

Mais cette position soulève une grave question théologique : comment l’Église peut-elle conserver l’apostolicité de gouvernement si aucun évêque n’a reçu de juridiction ordinaire via une mission canonique donnée par le pape ?

Ce qui suit est une proposition de réponse à cette question. Il ne s’agit pas d’une affirmation dogmatique mais d’une exploration systématique fondée sur la théologie sacramentelle, le droit canonique et les précédents historiques. Ce texte s’adresse à ceux qui cherchent à expliquer en quoi le sédévacantisme est fondé sur le plan théologique, et comment il répond notamment aux exigences d’apostolicité formelle et d’indéfectibilité de l’Église.

L’enseignement traditionnel sur la juridiction et l’apostolicité

Avant Vatican II, les théologiens s’accordaient généralement sur le fait que :

-L’apostolicité formelle exige la continuité du Siège apostolique, en particulier la fonction de gouvernement (qui comprend la juridiction).

-La juridiction, dans sa forme ordinaire, était normalement conférée par une mission canonique octroyée par le Pontife romain.

-Une rupture dans la juridiction ordinaire serait susceptible de menacer l’indéfectibilité de l’Église, car l’indéfectibilité de l’Église exige qu’il y ait une continuité hiérarchique.

Pie XII, dans Ad Sinarum Gentem, a confirmé cet enseignement :

« Par le pouvoir d’ordre, la Hiérarchie Ecclésiastique se compose d’évêques, de prêtres, de ministres, et ceci est de constitution divine ; on y accède en recevant le sacrement de l’Ordre. Le pouvoir de juridiction est directement conféré, de droit divin, mais seulement par l’intermédiaire du successeur de Pierre. »

Pie XII, Encyclique « Ad Sinarum Gentem », 1954

Il ne s’agissait pas d’un enseignement en théologie sacramentelle, mais plutôt d’une instruction juridique sur le processus de mission canonique, dans des conditions normales. Or, précisément, la thèse sédévacantiste suppose qu’aujourd’hui nous ne sommes pas dans des conditions normales.

Il est également important de noter que les termes « pouvoir de gouvernement » et « juridiction » ne sont pas exactement synonymes. La juridiction est une composante du pouvoir plus large de gouvernement (regendi), qui comprend également le pouvoir d’enseignement et le pouvoir de sanctification.

Le problème de la juridiction pendant un interrègne prolongé

S’il n’y a pas eu de véritable pape depuis 1958 et qu’il n’y a pas d’évêques canoniquement nommés par un vrai pape exerçant encore sa charge, alors personne ne possède actuellement de mission canonique au sens juridique ordinaire (c’est-à-dire une unité territoriale attribuée par un pape régnant).

Si personne ne possède de mission canonique au sens courant du terme, alors personne ne possède la juridiction ordinaire au sens courant du terme.

Telle est l’objection soulevée par les critiques de la position théologique du sédévacantisme. Ils soutiennent que, puisque la juridiction ne peut être conférée que par un pape régnant, alors, par conséquent, les évêques et le clergé sédévacantistes en sont privés. Même une juridiction suppléée, affirment-ils, est insuffisante pour préserver la structure visible de l’Église.

Pour défendre la possibilité théologique du sédévacantisme, il faut donc résoudre ce problème. (…)

Activation par l’épikie et l’accord tacite du pape

Si la consécration épiscopale confère le pouvoir (munus) de gouvernement, alors l’absence d’un pape régnant n’élimine pas l’a réalité de l’existence de ce pouvoir ; elle empêche simplement son activation habituelle.

Mais que se passerait-il si Dieu, prévoyant une telle crise, avait doté l’Église de principes canoniques permettant l’activation extraordinaire et licite de ce pouvoir ?

L’épikie, l’interprétation de la loi selon l’équité et le bien commun, permet de suspendre l’application stricte d’une loi lorsque son respect entraînerait un préjudice ou une absurdité.

De même, l’Église reconnaît depuis longtemps que dans les situations de grave nécessité ou d’autorité empêchée, la juridiction peut être suppléée ou présumée ; non pas inventée, mais tirée de la constitution juridique et sacramentelle de l’Église elle-même.

Dans les territoires de mission historiques et durant les interrègnes papaux, prêtres et évêques agissaient sans mandat pontifical explicite, mais leurs actes furent ultérieurement reconnus valides et licites, sur la base d’un accord du pape qui est présumé ou d’une délégation tacite. Il s’agit, en substance, d’un cas d’accord tacite du pape, fondé non sur une délégation directe, mais sur la présomption de l’Église que le pape l’aurait accordée s’il avait été disponible.

Si la consécration épiscopale donne le pouvoir ontologique de gouvernement, et que le canal normal d’activation est bloqué (en raison de l’absence d’un véritable pape), alors les principes d’épikie, de suppléance de la juridiction par l’Eglise et d’accord tacite du pape dans les cas de nécessité, peuvent suffire à activer licitement la juridiction liée à leur fonction, car c’est le salut des âmes qui est en jeu.

Ainsi, on peut dire que les évêques sédévacantistes exercent une juridiction ordinaire personnelle (c’est-à-dire une juridiction attachée à leur personne en tant qu’évêques, et non à un diocèse territorial) sur les fidèles qui se rattachent à eux en toute bonne conscience, dans un état d’urgence et avec l’intention de rester en communion avec la véritable Église.

Annexe : Exemples historiques de juridiction personnelle ordinaire

Si la plupart des évêques exercent une juridiction territoriale, l’Église reconnaît depuis longtemps des formes de juridiction personnelle ordinaire : une juridiction attachée aux personnes plutôt qu’à la géographie. Parmi celles-ci, on peut citer :

Vicaires apostoliques : Dans les régions missionnaires dépourvues de diocèse, des évêques ou des prêtres peuvent être nommés vicaires apostoliques, exerçant ainsi une pleine juridiction ordinaire sur les catholiques de la région, sans toutefois être rattachés à un diocèse. Cela illustre comment l’Église peut autoriser une juridiction personnelle dans des circonstances extraordinaires.

Ordinariats militaires : Évêques ayant juridiction sur tous les catholiques des forces armées d’un pays, indépendamment de l’endroit où ces personnes se trouvent. Ces ordinariats fonctionnent indépendamment des diocèses territoriaux.

Prélatures personnelles (par exemple, Opus Dei) : La juridiction s’exerce sur les membres de la prélature en fonction de leur statut, et non de leur lieu de résidence. Ce modèle a été formalisé après Vatican II, mais reflète des principes juridiques antérieurs.

Confesseurs des ordres religieux : Certains prêtres et évêques se voient conférer la juridiction ordinaire pour entendre les confessions et gouverner les membres des instituts religieux, non pas en raison de leur affectation diocésaine, mais en raison de leur office personnel.

Administrateurs apostoliques sans siège épiscopal : Il arrive que des évêques soient nommés pour gouverner temporairement un diocèse ou une communauté ecclésiale, exerçant ainsi une juridiction ordinaire sans siège épiscopal permanent.

Ces exemples démontrent que la juridiction ordinaire personnelle n’est pas une nouveauté, bien qu’elle soit toujours conférée historiquement par mandat pontifical. L’hypothèse défendue dans cet article est donc que, dans des conditions extraordinaires et inédites, l’activation du munus regendi (pouvoir de gouvernement) lui-même (fondé sur la réalité sacramentelle et invoqué licitement par l’épikie et l’accord du pape présumé) pourrait être le fondement de cette même structure juridique sans pape régnant.

Section V : Apostolicité, visibilité et mission ecclésiastique

Pour préserver l’apostolicité formelle, l’Église doit conserver non seulement le pouvoir d’ordre, mais aussi le pouvoir de gouvernement. Autrement dit, elle doit continuer à avoir des successeurs des Apôtres qui gouvernent véritablement, c’est-à-dire qui enseignent, qui sanctifient et qui jugent, et non pas seulement des évêques ayant des ordres valides.

La théologie traditionnelle considère que la juridiction ordinaire est le moyen habituel du gouvernement apostolique, généralement conférée par la mission canonique. Cependant, lorsque la mission canonique ne peut être conférée de manière ordinaire, comme lors d’une vacance prolongée du siège, l’Église peut présumer, par l’épikie et la volonté papale tacite, que les évêques validement consacrés avec le munus regendi exercent une forme de mission apostolique en raison des conditions extraordinaires.

Cela préserve non seulement la matière (des évêques valides), mais aussi la forme (une véritable autorité avec la capacité de gouverner le troupeau des fidèles).

De plus, ce cadre préserve la visibilité de l’Église. Si les évêques sédévacantistes exercent licitement leur juridiction ordinaire personnelle, la hiérarchie apostolique de l’Église continue de fonctionner. Elle n’est pas réduite à une structure cachée ou en puissance, mais demeure visiblement active parmi ceux qui adhèrent fermement à la foi catholique.

Et cet épiscopat continue de remplir la mission de l’Église. Les évêques, détenteurs du munus regendi, exerçant leur gouvernement selon les normes traditionnelles et avec l’intention de restaurer la communion avec le véritable Siège de Pierre lorsque cela sera possible, conservent la Missio de l’Église : sa mission divine d’enseigner et de sanctifier.

La position sédévacantiste, correctement argumentée, ne conduit donc pas à une conception de l’ Église cachée, invisible et purement virtuelle. Elle préserve les trois caractéristiques essentielles de l’apostolicité : elle est apostolique au niveau des sacrements, de la doctrine et du gouvernement.

Ceci trouve également une analogie historique avec le Schisme d’Occident, lorsque des prétendants rivaux à la papauté existaient et que de nombreux évêques exerçaient dans une situation d’incertitude quant à l’identité du vrai pape. L’Église a par la suite reconnu la juridiction légitime de certains de ceux qui avaient agi de bonne foi durant ce chaos.

Réponse aux objections

Qu’en est-il de l’enseignement de Pie XII, dans Ad Sinarum Gentem (1954) ?

Pie XII, dans Ad Sinarum Gentem (1954) a déclaré :

« Par le pouvoir d’ordre, la Hiérarchie Ecclésiastique se compose d’évêques, de prêtres, de ministres, et ceci est de constitution divine ; on y accède en recevant le sacrement de l’Ordre. Le pouvoir de juridiction est directement conféré, de droit divin, mais seulement par l’intermédiaire du successeur de Pierre. »

Ce point est souvent invoqué pour nier toute possibilité de transmission de la juridiction sans une mission canonique du pape. Mais une lecture attentive, notamment dans son contexte juridique, permet une compréhension plus nuancée.

Premièrement, le document traite du processus canonique normal, et non de scénarios ecclésiologiques extraordinaires comme une défection universelle de la hiérarchie. L’intention de Pie XII était de s’opposer aux consécrations illicites en Chine, et non de proposer une définition dogmatique de la source ontologique de la juridiction.

Deuxièmement, lorsque le Pape parle du « pouvoir de juridiction », il se réfère peut-être à l’autorisation d’exercer la juridiction, plutôt qu’à la capacité ou à l’office ontologique (munus) conféré par le sacrement. Ainsi, la déclaration de Pie XII pourrait se référer à l’octroi effectif de la mission canonique, et non à l’existence du pouvoir de gouverner en soi.

Dans des cas extraordinaires (comme une vacance de siège prolongée ou un pape empêché), la fonction pourrait encore exister chez les évêques validement consacrés avec l’intention de servir l’Église, et les principes juridiques de l’Église (epikie, juridiction suppléée, volonté papale tacite) peuvent permettre son activation légale.

Cette lecture ne contredit donc pas l’instruction juridique de Pie XII, mais la situe correctement dans le cadre canonique et théologique plus large de l’Église.

Est-ce que le cas des évêques sédévacantistes est similaire à celui des orthodoxes ?

Non. Les orthodoxes se sont séparés du Pontife romain et rejettent sa primauté. Les évêques sédévacantistes en revanche, reconnaissent la vacance du Siège romain et aspirent à rétablir la communion avec un futur véritable pape. Leurs sacrements, leur théologie et leur conception juridique restent ancrés dans la tradition romaine.

De plus, les orthodoxes rejettent les dogmes clés définis après le schisme et persistent dans l’hérésie publique. Les évêques sédévacantistes, bien qu’ils n’aient pas de mission canonique, ne rejettent formellement aucun dogme catholique.

Cette théorie est-elle nouvelle ?

Dans son application, oui ; mais ses principes ne le sont pas. Les théories selon lesquelles la juridiction serait enracinée dans les ordres, et celle de l’activation par l’épikie et la volonté papale présumée, ont de solides précédents. Ce qui est nouveau, c’est leur combinaison en réponse à la crise sans précédent de l’après Vatican II.

Conclusion : Le chemin de la cohérence et de l’espérance

Cet article défend l’idée que l’Église puisse conserver une apostolicité formelle, même dans la crise sans précédent d’une vacance prolongée du Saint-Siège. Grâce à la théologie sacramentelle, au droit canonique et aux précédents historiques, il est possible d’affirmer que les évêques validement consacrés dans la lignée apostolique, qui possèdent le munus regendi, peuvent exercer licitement la juridiction ordinaire à titre personnel par voie d’épikie et de volonté papale présumée.

Cela préserve la structure, la visibilité et la mission de l’Église sans nécessiter de fictions canoniques ni d’Églises cachées. Cela ouvre également la voie à l’unité, à la vérité et à l’ordre lorsque Dieu restaurera la papauté en acte.

Loin de porter atteinte à l’indéfectibilité, ce cadre cherche à la maintenir, en démontrant que la constitution divine de l’Église contient en elle-même la flexibilité juridique et le pouvoir sacramentel nécessaires pour survivre même à la vacance du Saint-Siège la plus grave.

Il ne s’agit pas d’une innovation, mais d’un retour à des principes ancrés dans l’histoire et la théologie de l’Église elle-même ; des principes qui témoignent de sa résilience, de sa mission et de sa vie indéfectible à travers tous les âges. « 

Traduction : B. Michel

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