Chaque jour notre mère l’Église est davantage meurtrie d’abominable désolation. Si les papes de Vatican II détruisent l’Église, où est leur légitimité ?
Plus tardivement que d’autres, j’ai réalisé le rôle délétère de l’attachement à une hiérarchie félonne dans le désarmement des résistants. Pour me convaincre entièrement de l’imposture de ces papes, j’ai rassemblé mes réflexions dans un livre. Il s’adresse notamment à mes amis de la Fraternité Saint-Pie X, afin de les aider à parcourir le chemin caillouteux vers la lumière.
Les étiquettes sont détestables et seule celle de « catholique » nous honore, mais si mes adversaires y insistent, j’accepte qu’ils me flétrissent de celle de « sédévacantiste », puisque c’est ainsi que l’on désigne ceux qui récusent toute autorité aux occupants actuels du Siège de Pierre.
Mais voilà, le sédévacantiste que je prétends être fréquente encore la messe de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et mes enfants sont inscrits dans des écoles de la Fraternité Saint-Pie X. Trahison ? Libéralisme coupable ? Refus des exigences du combat non-una-cum par souci de confort ? Je dois des explications.
En mai 1987, Mgr Guérard des Lauriers donna un entretien à la revue Sodalitium n° 13 où il soulevait la question de l’assistance aux messes una-cum. « La Messe una-cum est ex se objectivement entachée de sacrilège », explique-t-il. De plus, parce qu’elle est célébrée en communion avec une personne « en état de schisme capital », la messe una-cum est « OBJECTIVEMENT ET INELUCTABLEMENT (sic) entachée d’un délit qui est du genre : schisme ». Se posant la question de la responsabilité des fidèles qui assistent à des messes una-cum, Mgr Gérard des Lauriers précise qu’en y participant ces fidèles se rendent « EN DROIT » (sic) coupables de sacrilège et de schisme. Pourtant Mgr Guérard mitige un peu sa terrible sentence : « Un délit n’est péché que s’il est connu comme tel », admet-il. Il reconnaît aussi que l’on peut n’avoir d’autre possibilité que d’aller à une messe una-cum. Il déclare enfin qu’il a lui-même consacré des évêques afin « que dure sur terre l’OBLATION PURE, l’OBLATIO MUNDA [Mal. I, 11] » (sic), c’est-à-dire selon lui la messe non-una-cum.
Cette doctrine est reprise par des prêtres, des évêques même, qui estiment que, quarante ans après le début de ces controverses, l’ignorance est sans excuse et refusent par conséquent les sacrements aux fidèles qui fréquenteraient la Fraternité Saint-Pie X.
Pour ma part, je n’exciperais pas de mon ignorance, puisque je suis bien informé de ces controverses, et j’avoue que, au prix de quelques efforts supplémentaires, je pourrais presque toujours éviter les messe una-cum. Si Jorge Bergoglio est l’hérétique que je dénonce, comment puis-je ne pas voir avec Mgr Guérard des Lauriers le sacrilège des saints mystères célébrés en communion avec lui ? Je suis apparemment sans excuse. Suis-je donc sacrilège et schismatique ?
Avec sa clarté habituelle, saint Thomas d’Aquin nous donne la définition du sacrilège : « Le péché de sacrilège consiste en ce que quelqu’un se tient de façon irrévérencieuse vis-à-vis d’une chose sacrée. » (Somme théologique 2a 2ae, 99, 3 c.) S. Thomas est d’ailleurs particulièrement sévère : « Tout péché, que commet une personne sacrée, est matériellement et comme par accident un sacrilège. De là saint Jérôme dit que les paroles frivoles dans la bouche d’un prêtre sont des sacrilèges ou des blasphèmes. Cependant formellement et proprement le seul péché d’une personne sacrée qui est un sacrilège est celui qui est fait directement contre sa sainteté : par exemple si une vierge consacrée à Dieu fornique. » (ibidem ad 3um) Pour saint Thomas donc, il n’y a de sacrilège formel que lorsque la volonté d’irrévérence est formelle.
Qui prétendra que les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X célèbrent la messe en communion avec Bergoglio parce qu’il est hérétique et « en état de schisme capital ». Qui les accusera de vouloir, par l’una-cum, attenter consciemment à la majesté du Saint-Sacrifice ? Les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X dénoncent l’hérésie de Vatican II. Ceux qui s’y refusent ont rejoint les communautés Ecclesia Dei. Quand, par ignorance ou par obéissance vis-à-vis de leurs supérieurs, ils célèbrent « una cum François », ils n’adhérent pas à son hérésie. Ils pensent faire leur devoir. Ils se trompent. Voilà tout. Où est l’intention maligne ? Où est l’irrévérence formelle ?
Qu’on le veuille ou non la question du pape est une question théologique technique dont l’application à la situation présente, si claire qu’elle paraisse à ceux qui l’ont étudiée, reste compliquée, controversée et non tranchée par une autorité légitime. Nos conclusions ne peuvent donc être imposées, encore moins sous peine d’excommunication.
Saint Hypathius, un moine de Bithynie, retira des diptyques sacrés (qui étaient lus à la messe en signe de communion) le nom de Nestorius, qui niait l’unité de la personne du Christ. Hypathius fut repris par son ordinaire, Eulalius, pour avoir fait ce retrait avant la condamnation de Nestorius par le concile d’Ephèse. Le pape saint Célestin Ier donna raison à saint Hypathius en déclarant nuls tous les actes de Nestorius dès qu’il commença à prêcher l’hérésie. Pour autant saint Hypathius ne semble pas avoir remis en cause sa communion avec son ordinaire Eulalius qui maintenait le nom de Nestorius aux diptyques.
Mgr Guérard des Lauriers ouvre son entretien par un brillant développement métaphysique sur la distinction de la matière et de la forme : « Si on fait ainsi [cette distinction], c’est par souci du RÉALISME, c’est pour que le discours soit mieux conforme à la réalité. En effet, ce qui existe, c’est le TOUT, le composé. » Mais, tout à son ire contre Mgr Lefebvre et sa Fraternité et à sa volonté d’en écarter les fidèles, il ne pense même pas à appliquer cette distinction à la distribution des sacrements par cette Fraternité.
Évidemment que la messe una cum un hérétique a la matière d’un sacrilège. Mais il y a aussi matière à sacrilège quand le prêtre a les mains sales ou des ornements déchirés, lorsqu’il n’a pas respecté le jeûne, ne suit pas les rubriques ou a de graves péchés sur la conscience. Mais sans la forme du péché, c’est-à-dire l’irrévérence volontaire, le sacrilège n’existe tout simplement pas.
Ce qui vaut pour le prêtre vaut pour le fidèle, fût-il expert en sédévacantisme. Où est la volonté de manquer à la révérence due à Dieu quand le fidèle non-una-cum assiste à une messe una-cum parce que cela évite x kilomètres à sa famille fatiguée ou lorsqu’il place ses enfants dans une école una-cum en absence d’autre possibilité ? Les sacrements ne sont pas de simples formalités, des sortes de gadgets de notre religion. Ils sont un nutriment plus que jamais nécessaire à nos âmes dans notre époque troublée. Quand on est sûr de leur validité, on doit les recevoir aussi souvent qu’il est possible, même s’ils sont donnés dans des célébrations una-cum.
Dire qu’assister à la messe una-cum constitue un péché mortel est créer de toute pièce une nouvelle règle morale que les fidèles ne peuvent supporter. N’est-ce pas la faute que Notre Seigneur reproche si sévèrement aux Pharisiens ? « Ils lient des fardeaux lourds et importables et les imposent sur les épaules des hommes. » (Mt 23, 4) « Malheur à vous les experts de la loi, qui chargez les hommes de poids qu’ils ne peuvent porter. » (Lc 11, 46)
Ainsi en est-il de l’accusation de schisme.
Mgr Guérard juge le clergé una-cum schismatique. D’autres le disent hérétique parce que reconnaître la légitimité de François équivaudrait à nier l’infaillibilité du magistère ordinaire de l’Église. Quelles qu’en soient les nuances, ces accusations valent excommunication. Le clergé una-cum serait infréquentable et mènerait à la perdition. Jugeant avec raison que les sacrements du clergé Ecclesia Dei sont douteux et ignorant le « clergé » conciliaire tout imbibé de l’hérésie de Vatican II, ces évêques, ces prêtres et ces fidèles pensent que l’Église et l’oblatio munda se limitent désormais à leurs chapelles. Ils le pensent, mais n’osent pas le dire tant l’affirmation est énorme et choquerait.
La Fraternité Saint-Pie X peine à trouver l’accord pratique avec la Rome hérétique prôné par Mgr Fellay précisément parce qu’elle rejette le fond de la réforme de Vatican II. L’accuser d’adhérer au schisme conciliaire parce qu’elle n’a pas encore compris cette question de l’autorité et qu’elle célèbre una-cum est absurde. C’est aussi une injustice.
En filigrane se dessine bien sûr la question de l’appartenance à l’Église. L’Église est la société des croyants. Est-elle exclusivement composée de ceux qui ont raison ? Ceux qui se trompent en sont-ils par là même exclus ?
La réponse des théologiens est différente. Saint Thomas explique que ce n’est pas l’erreur à laquelle il adhère qui exclut l’hérétique de l’Église, c’est qu’il a consciemment choisi cette erreur plutôt que de recevoir humblement l’enseignement de l’Église (Somme théologique 2a 2ae, 5, 3). Préférer sa volonté propre à l’autorité infaillible de l’Église : voilà l’hérésie (αίρεσις : action de prendre, choix), voilà la faute qui sépare de la société des croyants. Le cardinal Billot explique que l’hérésie est formelle quand cette autorité de l’Église est suffisamment connue (Tractatus de Ecclesia Christi, T. I, quaest. VII, thes. XI).
Le catholique qui embrasse une erreur en pensant que c’est la doctrine de l’Église n’est donc pas hérétique, il est simplement dans l’erreur. Il se trompe. N’est-ce pas le cas de nombre de catholiques conciliaires qui acceptent de bonne foi Vatican II en pensant qu’il s’agit d’un concile oecuménique catholique ? Il y a donc encore beaucoup de catholiques dans l’Église conciliaire qu’on ne saurait exclure de notre communion sans imprudence.
Il faut que la doctrine orthodoxe, l’autorité de l’Église, soit suffisamment connue. Bien peu, même dans le clergé, ont accès à la bonne doctrine dans notre époque de confusion. Il faut donc éviter de généraliser les excommunications quand on constate des désaccords de doctrine.
Bien sûr il est difficile d’invoquer le bénéfice de l’ignorance pour les chefs de la révolution conciliaire, c’est-à-dire les papes de Vatican II, qui ont souvent expliqué qu’ils se plaçaient consciemment en rupture avec l’Église d’hier. Leur hérésie apparaît donc formellement constituée et il est légitime de les juger hérétiques et déchus de toute autorité.
Mais dire que la Fraternité Saint-Pie X est hérétique, schismatique et qu’elle rejette Pastor Aeternus en reconnaissant François est clairement imprudent. Odiosa sunt restringenda (les choses odieuses [comme les anathèmes] doivent être restreintes) dit l’adage canonique.
La Fraternité Saint-Pie X n’est pas l’ennemie des sédévacantistes. Beaucoup des figures du sédévacantistes ont reçu d’elle l’enseignement et les grâces, notamment les ordres. L’ingratitude est méprisable. Certes cette Fraternité a exclu de son sein plusieurs prêtres qui professaient la vacance du Siège. Certes nombre de prêtres FSSPX abhorrent les sédévacantistes et les jugent hors de l’Église. Tendons la joue gauche. Ils nous excluent de leurs prieurés ? Ouvrons leur nos chapelles. « Par votre patience vous posséderez vos âmes. » (Lc 21, 19) Dieu donne sa grâce à qui Il veut quand Il veut. Si nous tardons à la recevoir, c’est que nous résistons. La Fraternité Saint-Pie X est prospère en nombre, mais ne sait pas où elle va. Elle est en panne de direction. Prions Dieu pour qu’Il l’éclaire. Les sédévacantistes ne sont pas les ennemis de la Fraternité Saint-Pie X. Ils doivent lui montrer la voie par la pureté de leur doctrine.
« Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. » (Mt 26, 31) Quand le lien de l’institution s’effiloche, la charité se fait plus impérative. Charité n’est pas un gros mot. Rechercher l’union de ceux qui ont gardé la vraie foi n’est pas donner dans le libéralisme : c’est une nécessité. Malgré leurs options diverses, les évêques attachés à la tradition doivent se rencontrer et se parler pour tenter de résorber leurs différences. Nous ne grandirons pas contre nos frères, mais avec eux. Catholique, universel, n’est pas un mot vain.
Ne nous trompons pas d’ennemi. Il n’y en a qu’un : le Diable dont le Mystère d’iniquité a atteint le sommet de l’Église à Vatican II.
Maxence Hecquard
22 février 2025
Photo de Shalone Cason sur Unsplash