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Qui peut élire le pape en l’absence de cardinaux ? L’enseignement des théologiens

Par B. Michel
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Les explications de la situation de vacance du Siège apostolique que nous vivons aujourd’hui sont diverses et variées. Mais, au fond, toutes reviennent à affirmer qu’avec la disparition de tous les cardinaux, nous serions désormais dans une « impasse », car l’Eglise n’aurait prétendument aucun moyen d’élire un nouveau Souverain Pontife.

Pour nous éclairer, nous disposons pourtant l’analyses de nombreux théologiens qui ont envisagé cette situation. Or ce qui est certain, c’est que tous ces théologiens s’accordent sur le fait de dire que l’Eglise ne peut jamais perdre le droit d’élire le Souverain Pontife. Par conséquent, tous disent clairement qu’en cas de vacance du Siège apostolique, et quelles que soient les circonstances historiques, l’Eglise peut toujours procéder à cette élection.

Certains de ces théologiens, de manière quelque peu prémonitoire, ont d’ailleurs écrit explicitement, et à une époque où pourtant la situation ne s’était jamais encore présentée, que même en cas d’absence de cardinaux, l’Eglise aurait toujours la possibilité d’élire un pape. La plupart d’entre eux expliquent par ailleurs que l’élection du pape reviendrait dans ce cas au clergé romain ou à tous les évêques réunis en un concile général imparfait.

Nous présentons donc dans cet article des citations de quelques-uns de ces théologiens relatives aux modalités d’élection du pape en cas d’absence de cardinaux.

Cardinal Cajetan (1469-1539)

« Il est impossible que l’Eglise soit laissée sans Pape et sans le pouvoir d’élire le Pape. Tous les Cardinaux étant morts, leur succède de façon immédiate [dans le pouvoir d’élire le Pape] l’Eglise Romaine, par laquelle fut élu [le Pape saint] Lin avant toute disposition de droit humain à notre connaissance. L’Eglise romaine représente l’Eglise universelle dans le pouvoir électif. »[1]

Commentaire préliminaire à la prochaine citation : dans les extraits que nous allons citer, Francisco de Vitoria affirme deux choses : que l’Eglise, quelles que soient les circonstances, aura toujours des électeurs pour se doter d’un pape ; et, en l’absence de cardinaux, les électeurs légitimes sont les évêques.

Francisco de Vitoria (1483-1546)

Francisco de Vitoria (1483-1546), donc, dans son œuvre De potestate Ecclesiae (pp. 151-168), écrit :

« 18. Après la mort de Pierre, l’Eglise a le pouvoir d’en nommer et d’en établir un autre pour le remplacer, même si Pierre n’avait rien décrété auparavant à ce sujet.

Cela est prouvé : car bien que l’Eglise (comme nous l’avons déclaré dans la réflexion précédente) ne puisse constituer une puissance spirituelle, ni (pour ainsi dire) formellement la posséder en elle-même, comme nous l’avons expliqué plus haut : néanmoins, une fois la puissance établie par le Christ, il ne semble pas que l’Eglise soit dans une plus mauvaise condition pour choisir son chef qu’un Etat civil, qui, de toute façon, faute de chef, peut s’en donner un autre.

De même, comme il a été dit, ce pouvoir était censé persister dans l’Eglise, mais Pierre étant décédé sans rien prévoir ni décréter concernant son successeur (comme cela pouvait arriver), il ne resterait aucun moyen autre que l’élection du pape par l’Eglise ; par conséquent, l’Eglise pourrait en élire un autre.

Et cela se confirme parce que, même aujourd’hui, si la guerre, la peste, d’autres calamités ou le hasard devaient éliminer tous les cardinaux, il ne fait aucun doute que l’Eglise pourrait se doter d’un Souverain Pontife : autrement, ce Siège, qui pourtant doit durer perpétuellement, resterait vacant pour toujours.

De même, ce pouvoir est commun et appartient à l’Eglise entière : appartient donc à l’Eglise entière, et non à une Eglise particulière, ou un certain ordre, ou une classe d’hommes : en effet, si les cardinaux étaient négligents ou pernicieux, méfiante, l’Eglise pourrait subvenir à ses besoins. »

Dans le point 21, Vitoria se demande qui sont les électeurs du pape, de droit divin :

« 21. Dans tous les cas où le Siège Apostolique se trouve vacant, si l’on se place strictement du point de vue du droit divin, l’élection du pape appartient à tous les évêques de la chrétienté.

Cela est prouvé parce qu’ils sont les pasteurs du troupeau, ses surveillants et ses gardiens ; toute l’administration ecclésiastique, outre le Souverain Pontife, leur appartient ; et ils peuvent faire seuls tout ce que le bas clergé ne peut faire.

Je dis donc que de quelque manière que ce soit – que ce soit par institution ou par les circonstances – si tous les évêques se réunissaient, dans un tel cas, les évêques pourraient élire un Souverain Pontife avec la même autorité que celle du bienheureux Pierre, quelles que soient les protestations de la totalité ou de la plus grande partie des laïcs ou même du clergé. »

Saint Robert Bellarmin (1542-1621)

Le docteur de l’Eglise saint Robert Bellarmin (1542-1621), enseigne (nous soulignons) :

« S’il ne demeurait aucune constitution sur le mode d’élection d’un souverain pontife, ou si, par hasard, tous les électeurs désignés par le droit, c’est-à-dire tous les cardinaux, périssaient simultanément, le droit d’élire reviendrait aux évêques voisins et au clergé romain, mais en dépendance d’un concile général d’évêques. (…) c’est, sans aucun doute, un concile d’évêques qui possède l’autorité première d’élire, car, à la mort d’un pontife, il n’y a pas, dans l’Eglise, de plus grande autorité que celle d’un concile. (…) Et on n’a jamais entendu dire, et on n’a jamais lu que les évêques, les archevêques et les patriarches de tout l’univers se soient réunis pour élire un souverain pontife, sauf dans le cas où l’on avait un doute sur les électeurs légitimes. Ce doute devait trouver sa solution dans un concile général, comme cela est arrivé au concile de Constance. »[2]

Gaspar Hurtado (1575-1647)

Le théologien jésuite espagnol Gaspar Hurtado[3] (1575-1647) écrit dans ou ouvrage[4] datant de 1632 que les évêques du monde et le clergé romain auraient le droit d’élire le pasteur suprême si les exigences du droit positif étaient impossibles.

« … Deuxièmement, la difficulté réside dans la question de savoir à qui appartient l’élection du Souverain Pontife, lorsqu’aucun mode d’élection n’a été établi par le Souverain Pontife, qu’il n’a pas désigné d’électeurs ou que, s’ils ont été désignés, ils décèdent après le décès du Souverain Pontife, mais avant l’élection d’un nouveau Pontife. Par exemple, si, à la mort du Souverain Pontife, tous les cardinaux devaient mourir avant l’élection d’un nouveau Pontife ?

Première opinion – Le clergé romain

Cajetan, dans Apologie 22, Bellarmin, dans « Du clergé », livre 1, et Turrien, dans Disputation 15, Doute 3, enseignent que, dans ce cas, l’élection du Souverain Pontife relève du clergé romain, car, sans égard au droit positif, l’élection d’un chef ou d’un supérieur appartient de droit naturel aux inférieurs et aux sujets. Par conséquent, dans un tel cas, l’élection de l’évêque de Rome relèverait du clergé romain.

Deuxième Opinion – Évêques de toute l’ Église.

Cependant, Vittoria, dans son c.q.3. sur le pouvoir de l’Église, et Suarez, dans la Disputation 10, section 4, enseignent que, dans un tel cas, l’élection du Souverain Pontife relève d’un Concile général ou des évêques de toute l’Église chrétienne, et à juste titre, car le Souverain Pontife est le supérieur de toute l’Église.

Par conséquent, indépendamment du droit positif, l’élection de droit naturel relève du clergé de toute l’Église, et en particulier de ses membres les plus importants, à savoir les évêques.

Car, d’une part, l’élection d’un supérieur de droit naturel (à l’exclusion du droit positif) relève des inférieurs, et d’autre part, même si, lors de l’élection du Souverain Pontife, non seulement le Souverain Pontife est élu, mais aussi l’Évêque de Rome, c’est principalement le Pasteur suprême qui est élu en lui, et moins principalement et presque accessoirement, l’Évêque de Rome.

Car le Pasteur Suprême, comme tel, est plus important que l’Évêque de Rome comme tel ; en effet, il était le Pasteur Suprême avant d’être l’Évêque de Rome, et l’Épiscopat de Rome a été ajouté ou rattaché au Pontificat Suprême, et non l’inverse.

L’opinion d’ Hurtado

J’avoue que l’élection du Souverain Pontife appartient au clergé romain à un double titre : à la fois parce qu’il est leur évêque particulier et parce qu’il est aussi leur Pasteur suprême ; mais aux autres seulement à ce dernier titre, à savoir parce qu’il est leur Pasteur suprême.

Par conséquent, supposant qu’il ne soit pas opportun de confier l’élection du Souverain Pontife à l’ensemble du clergé de toute la chrétienté, en raison des grandes difficultés et des délais que cela entraînerait, l’élection du Souverain Pontife a été opportunément confiée par le droit positif pontifical au clergé romain, en premier lieu aux cardinaux. »

Mgr Maupied (1814-1898)

Mgr Maupied[5] affirme également que dans le cas d’un pape douteux, le droit d’élire un pontife revient au collège épiscopal (nous soulignons) :

« (…) le collège épiscopal, dont le chef nécessaire est le pape, tient immédiatement de Jésus-Christ tous les pouvoirs divins de ministère sacramentel, de magistère ou d’enseignement, et d’empire ou de gouvernement ; de plus, il a reçu de Jésus-Christ et il possède la mission immédiatement divine sur l’Eglise universelle ; cependant, le corps épiscopal étant de droit divin soumis à l’autorité de son chef, et n’ayant été institué que pour seconder le vicaire du Christ en travaillant dans le diocèse universel confié à ce vicaire, il s’ensuit que le collège des évêques ne peut exercer ses pouvoirs et sa mission, si universels qu’ils soient, que selon le jugement et les décrets de son chef, le vicaire du Christ (Pièces justif. n° 70 à 78). Il faut toutefois excepter le cas d’un pape douteux ; alors, en effet, par le droit naturel de son existence, le corps épiscopal est appelé à prendre les moyens de se pourvoir d’une tête certaine.» (Pièces justif. n°69 et suiv.) (…) »[6]

Les théologiens Billot et Journet affirment la même chose en s’appuyant sur le principe de dévolution.

Cardinal Louis Billot (1846-1931 )

« Mais l’élection de l’Evêque Suprême relève sans aucun doute de l’ordre de l’Église universelle. Examinons maintenant, néanmoins, comment la loi s’appliquerait en cas de survenance d’une situation extraordinaire dans laquelle il serait nécessaire de procéder à l’élection d’un Pontife alors qu’il ne serait plus possible de respecter les conditions déterminées par la loi pontificale précédente ; comme certains le pensent lors du Grand Schisme lors de l’élection de Martin V.

Une fois que nous accordons la survenance de telles circonstances, il faut admettre sans difficulté que le pouvoir d’élection reviendrait à un concile général. Car la loi naturelle elle-même prescrit qu’en pareil cas l’attribut d’un pouvoir supérieur descend, par voie de dévolution, au pouvoir immédiatement inférieur dans la mesure où il est indispensable pour la survie de la société et pour éviter les tribulations d’un manque extrême.

En cas de doute, cependant (par exemple quand on ne sait pas si quelqu’un est un vrai cardinal ou quand le pape est mort ou incertain, comme cela semble s’être produit à l’époque du grand schisme qui a commencé sous Urbain VI), c’est pour affirmer que le pouvoir d’appliquer la papauté à une personne (les conditions requises ayant été remplies) réside dans l’Église de Dieu [l’Eglise catholique romaine]. Et puis par voie de dévolution, on voit que ce pouvoir descend à l’Eglise universelle, puisque les électeurs déterminés par le Pape n’existent pas » (Cajetan). Je le dis, cela se comprend sans difficulté si la survenance de telles circonstances est admise. »[7]

Charles Journet (1891-1975)

« Au cas où les conditions prévues seraient devenues inapplicables, le soin d’en déterminer de nouvelles échoirait à l’Église par dévolution, ce mot étant pris, comme le note Cajetan (Apologia de comparata auctoritate papae et concilii, cap. XIII, n°745), non pas au sens strict (c’est à l’autorité supérieure qu’il y a, au sens strict, dévolution en cas d’incurie de l’inférieur), mais au sens large, pour signifier toute transmission, même faite à un inférieur.

C’est au cours des disputes sur l’autorité respective du pape et du concile que s’est posée, au XVe et au XVIe siècle, la question du pouvoir d’élire le pape. Voici sur ce point la pensée de Cajetan.

Il explique d’abord que le pouvoir d’élire le pape réside dans ses prédécesseurs éminemment, régulièrement, principalement. Éminemment, comme les « formes » des êtres inférieurs sont dans les anges, lesquels sont incapables pourtant d’exercer par eux-mêmes les activités des corps (Apologia…, cap. XIII, n°736). Régulièrement, c’est-à-dire par un droit ordinaire, à la différence de l’Église dans sa viduité, qui ne pourrait déterminer elle-même un nouveau mode d’élection que « in casu », si la nécessité l’y contraignait. Principalement, à la différence de l’Église veuve, en qui ce pouvoir ne réside que secondairement (n°737). Pendant la vacance du siège apostolique, ni l’Église ni le concile ne sauraient contrevenir aux dispositions prises pour déterminer le mode valide de l’élection (De comparata…, cap. XIII, n°202). Cependant, en cas de permission, par exemple si le pape n’a rien prévu qui s’y oppose, ou en cas d’ambiguïté, par exemple si l’on ignore quels sont les vrais cardinaux, ou qui est vrai pape, comme cela s’est vu au temps du grand schisme, le pouvoir « d’appliquer la papauté à telle personne » est dévolu à l’Église universelle, à l’Église de Dieu (…) quand les dispositions du droit canonique seraient irréalisables, ce serait aux membres certains de l’Eglise de Rome qu’il appartiendrait d’élire le pape. A défaut du clergé de Rome, ce serait à l’Eglise universelle, dont le pape doit être l’évêque. (…)

L’Eglise possède le droit d’élire le pape, et donc le droit de connaître avec certitude l’élu. Tant que persiste le doute sur l’élection et que le consentement tacite de l’Eglise universelle n’est pas venu remédier aux vices possibles de l’élection, il n’y a pas de pape, papa dubius, papa nullus (un pape douteux n’est pas pape). »[8]

Enfin, le principe qui veut qu’en cas de vacance un concile général puisse et doive être réuni pour procéder à l’élection d’un pape est d’ailleurs affirmé dans l’encyclopédie catholique en langue anglaise (nous soulignons) :

« Un Concile (…) agissant indépendamment du vicaire du Christ est impensable dans la constitution de l’Eglise. (…) De telles assemblées n’ont eu lieu qu’en période de grands troubles constitutionnels, quand il n’y avait pas de pape ou que le pape légitime ne se distinguait pas des anti-papes. En ces temps anormaux, la sécurité de l’Église devient la loi suprême, et le premier devoir du troupeau est de trouver un nouveau berger, sous la direction duquel les maux existants peuvent être corrigés. »[9]


[1]Cardinal Cajetan, De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii, n°744, 745, 746.

[2]Saint Robert Bellarmin, Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps. Tome 2. L’Eglise. 5ème Controverse Générale : Les Membres de l’Eglise. Livre 1 : les Clercs. Chapitre. X : « A qui appartient l’élection du souverain pontife s’il n’y a plus de cardinaux. »

[3] L’Encyclopédie catholique dit de Hurtado : « Parmi les jésuites, Hurtado est l’un des plus distingués par son érudition et sa piété. Il fut parmi les premiers à s’écarter de la méthode de saint Thomas, jusque-là suivie par la majorité des théologiens, et il élabora son propre système.

« Il est réputé pour la brièveté, la concision et la clarté de ses exposés. C’était un grand orateur et prédicateur qui remporta un vif succès à la cour d’Espagne. » Source : Fournet, P.A. (1910). ‘Caspar Hurtado.’ In The Catholic Encyclopedia. New York: Robert Appleton Company. http://www.newadvent.org/cathen/07583b.htm

[4] Tract on Faith, Hope and Charity, Gaspar Hurtado, 1632.

[5]Mgr Maupied (1814-1898) était prêtre, trois fois docteur : Docteur ès sciences de la Faculté de Paris, docteur en théologie et en droit canon de l’Université romaine. Il joua un rôle central au concile Vatican I dans la rédaction des textes du concile pour définir le dogme de l’infaillibilité.

[6]Mgr Maupied, Le futur concile selon la divine constitution de l’Eglise et la plus grave question actuelle improprement appelée la séparation de l’Eglise et de l’Etat, Paris, Poussielgue Frères, 1869, p. 20.

[7]Cardinal Billot, Tractatus de Ecclesia Christi, 1909, Tomus Prior, Quaestio XIV, De Romano Pontifice, Thesis XXIX, § 1, p. 610-611.

[8]Charles Journet, L’Eglise du Verbe Incarné, Essai de théologie spéculative. Tomes I-III, Paris, Desclée de Brouwer, 1941, 1951, 1969. EXCURSUS VIII. L’élection du pape. p. 975-978.

[9] Catholic Encyclopedia, Volume IV, Councils ; Rev. J. Wilhem.

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