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Peut-on être catholique sans être royaliste?

Par Pierre Joly
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sacre du roi
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« Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui à Dieu. » [1]

N.S.J.C

Dans un premier temps, il convient d’abord de rappeler que tous les régimes n’ont pas le même degré de justice, car certains gouvernements sont meilleurs que d’autres.

Saint Thomas d’Aquin : « Comme le gouvernement d’un roi est le meilleur, ainsi le gouvernement d’un tyran est le pire. À la république s’oppose la démocratie, l’une et l’autre étant un gouvernement exercé par le plus grand nombre ; à l’aristocratie s’oppose l’oligarchie, l’une et l’autre étant exercée par le petit nombre ; quant à la royauté, elle s’oppose à la tyrannie, l’une et l’autre étant exercée par un seul homme. […] Un gouvernement juste est d’autant plus utile que son organe de direction est plus unifié, de sorte que la royauté est meilleure que l’aristocratie, et l’aristocratie est meilleure que la république. Ainsi en sera-t-il inversement pour le gouvernement injuste, de sorte que plus son organe directeur est unifié, plus il est nuisible. La tyrannie est donc plus nuisible que l’oligarchie, et l’oligarchie est plus nuisible que la démocratie. » [2]

Pourtant, il est permis de penser que le régime parfait puisse combiner plusieurs formes de gouvernement à la fois.

Saint Thomas d’Aquin : « Voici donc l’organisation la meilleure pour le gouvernement d’une cité ou d’un royaume : à la tête est placé, en raison de sa vertu, un chef unique ayant autorité sur tous ; puis viennent un certain nombre de chefs subalternes, qualifiés par leur vertu ; et cependant la multitude n’est pas étrangère au pouvoir ainsi défini, tous ayant la possibilité d’être élus et tous étant d’autre part électeurs. Tel est le régime parfait, heureusement mélangé de monarchie, par la prééminence d’un seul, d’aristocratie, par la multiplicité de chefs vertueusement qualifiés, et de démocratie, ou de pouvoir populaire, du fait que de simples citoyens peuvent être choisis comme chefs, et que le choix des chefs appartient au peuple. Et tel fut le régime institué par la loi divine. En effet, Moïse et ses successeurs gouvernaient le peuple en qualité de chefs uniques et universels, ce qui est une caractéristique de la royauté. Mais les soixante-douze anciens étaient élus en raison de leur mérite : “Je pris dans vos tribus des hommes sages et considérés, et je les établis comme chefs ” (Deutéronome 1 ; 15) ; voilà l’élément d’aristocratie. Quant à la démocratie, elle s’affirmait en ce que les chefs étaient pris dans l’ensemble du peuple : “Choisis parmi tout le peuple des hommes capables etc.” (Exode 18 ; 21) ; et que le peuple aussi les désignait : “Présentez, pris parmi vous, des hommes sages.” (Deutéronome 1 ; 13). L’excellence des dispositions légales est donc incontestable en ce qui touche à l’organisation des pouvoirs. […] La royauté est la forme la meilleure de gouvernement, si elle reste saine ; mais elle dégénère facilement en tyrannie, à cause du pouvoir considérable qui est attribué au roi, si celui qui détient un tel pouvoir n’a pas une vertu parfaite… » [3]

D’ailleurs, l’Église ne rejette aucune forme de gouvernement.

Léon XIII : « Quand on est sous le coup ou sous la menace d’une domination qui tient la société sous la pression d’une violence injuste, ou prive l’Église de sa liberté légitime, il est permis de chercher une autre organisation politique, sous laquelle il soit possible d’agir avec liberté. […] En outre, préférer pour l’État une constitution tempérée par l’élément démocratique n’est pas en soi contre le devoir, à condition toutefois qu’on respecte la doctrine catholique sur l’origine et l’exercice du pouvoir public. Des diverses formes du gouvernement, pourvu qu’elles soient en elles-mêmes aptes à procurer le bien des citoyens, l’Église n’en rejette aucune ; mais elle veut, et la nature s’accorde avec elle pour l’exiger, que leur institution ne viole le droit de personne et respecte particulièrement les droits de l’Eglise. » [4]

Ceci dit, l’Église admet volontiers que la monarchie constitue le meilleur des gouvernements.

Pie VI : « Le Roi très Chrétien Louis XVI a été condamné au dernier supplice par une conjuration impie et ce jugement s’est exécuté. Nous vous rappellerons en peu de mots les dispositions et les motifs de la sentence. La Convention Nationale n’avait ni droit ni autorité pour la prononcer. En effet, après avoir aboli la monarchie, le meilleur des gouvernements, elle avait transporté toute la puissance publique au peuple… » [5]

Cependant, quelle que soit la forme du gouvernement, la liberté de culte n’a pas sa place dans une société sainement constituée.

Pie VI : « On avait décrété que chacun était libre d’exercer la religion qu’il choisirait, comme si toutes les religions conduisaient au salut éternel ; et cependant seule la religion catholique était proscrite. Seule, elle voyait couler le sang de ses disciples dans les places publiques, sur les grands chemins et dans leurs propres maisons. […] Tel est le caractère constant des hérésies. Tel a toujours été, dès les premiers siècles de l’Église, l’esprit des hérétiques… » [6]

Et pour cause, car cette liberté de culte est nuisible au bien commun, étant donné qu’elle a pour conséquence de détruire l’ordre public.

Saint Robert Bellarmin : « Car, quand ils tuent les âmes, ils [les hérétiques] nuisent aux autres beaucoup plus que les pirates et les voleurs de grand chemin. Bien plus, ils enlèvent le fondement de tout bien, et remplissent la république de tumultes qui proviennent nécessairement de la diversité des religions. » [7]  

Notons également que la préservation de la république – au sens chrétien du terme [8] – consiste avant tout à défendre la religion et la loi de Dieu.  

Adrien VI : « Certes, les Maccabées défendaient la religion et la loi de Dieu avec un autre zèle, une autre ferveur que nous, en qui il paraît qu’il ne reste plus que le nom seul de chrétien, et très peu de la vertu qu’exige ce nom, puisque nous sommes plus soucieux de nous venger de nos ennemis particuliers que de ceux de Dieu et de sa sainte foi, et que, pour accomplir ce désir temporel qui est le nôtre, nous mettons toute la république chrétienne en danger de se perdre. » [9]

Cette république chrétienne – à ne pas confondre avec la république maçonnique – a principalement pour fonction de privilégier les intérêts de la chrétienté par rapport aux intérêts particuliers des souverains temporels.

Adrien VI : « Si nous gardons et défendons les intérêts de notre foi et de notre religion, et si nous aimons mieux souffrit quelque préjudice dans nos intérêts particuliers, que d’être indifférents au dommage de la république chrétienne, Dieu nous aidera en tout, et de sa main il vaincra les ennemis. » [10] 

Rappelons du reste que l’histoire a vu l’émergence de plusieurs républiques dans lesquelles le catholicisme fut le religion d’État, à savoir : la république de Venise (597-1797), la république de Florence (1115-1569), la république Équatorienne du temps de Gabriel García Moreno (1859-1875), ou la république Portugaise du temps de Salazar (1933-1974). De même, nous savons aussi que plusieurs empires ont été dirigés par des catholiques, comme ce fut le cas à l’époque de Constantin (310-327), de Théodose (379-395), de Justinien (527-575), de Saint Henri II (1014-1024), ou encore de Charles Quint (1520-1558). L’une des forces de la religion catholique, c’est d’ailleurs sa capacité à s’adapter à tous les types de régime.

Léon XIII : « Divers gouvernements politiques se sont succédé en France dans le cours de ce siècle, et chacun avec sa forme distinctive : empires, monarchies, républiques. En se renfermant dans les abstractions, on arriverait à définir quelle est la meilleure de ses formes, considérées en elles-mêmes ; on peut affirmer également, en toute vérité, que chacune d’elle est bonne, pourvu qu’elle sache marcher droit à sa fin, c’est-à-dire le bien commun, pour lequel l’autorité sociale est constituée ; il convient d’ajouter finalement, qu’à un point de vue relatif, telle ou telle forme de gouvernement peut être préférable, comme s’adaptant mieux au caractère et aux mœurs de telle ou telle nation. Dans cet ordre d’idées spéculatif, les catholiques, comme tout citoyen, ont pleine liberté de préférer une forme de gouvernement à l’autre, précisément en vertu de ce qu’aucune de ces formes sociales ne s’oppose, par elle-même, aux données de la saine raison, ni aux maximes de la doctrine chrétienne. » [11]  

Toutefois, nous savons également que le principe de la distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ne justifie pas une obéissance absolue envers les pouvoirs publics, dans la mesure où la tolérance d’un mauvais gouvernement ne permet point de se soumettre à de mauvaises lois.

Saint Augustin : « Parfois, en effet, les dignitaires sont bons et craignent Dieu, et parfois, ils ne le craignent point. Julien était un empereur infidèle, un apostat, un criminel idolâtre : des soldats chrétiens obéissaient à cet empereur infidèle ; mais quand ils s’agissait des intérêts du Christ, ils ne reconnaissaient que le maître du ciel. Quand on leur disait d’adorer les idoles, de leur offrir de l’encens, ils préféraient obéir au Seigneur ; mais leur disait-on : « Marchez en bataille contre tel peuple », ils obéissaient aussitôt. Ils distinguaient entre le maître éternel et le maître temporel ; et néanmoins, ils obéissaient au maître temporel à cause du maître éternel. » [12]

En effet, l’Église a toujours enseigné que les chrétiens doivent obéir aux ordres du pouvoir civil, tant que ses directives ne sont pas contraires à leur religion.

Grégoire XVI : « Que tous considèrent attentivement que selon l’avertissement de l’Apôtre : « Il n’est point de puissance qui ne vienne de Dieu ; et celles qui existent ont été établies par Dieu ; ainsi, résister au pouvoir, c’est résister à l’ordre de Dieu, et ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation. » (Romains 13 ; 2). Les droit divins et humains s’élèvent donc contre les hommes, qui, par les manœuvres les plus noires de la révolte et de la sédition, s’efforcent de détruire la fidélité due aux princes et de les renverser de leurs trônes. C’est sûrement pour cette raison et pour ne pas se couvrir d’une pareille honte, que malgré les plus violentes persécutions, les anciens chrétiens ont cependant toujours bien mérité des empereurs et de l’empire ; ils l’ont clairement démontré non seulement par leur fidélité à obéir exactement et promptement dans tout ce qui n’était pas contraire à leur religion, mais encore par leur constance et par l’effusion même de leur sang dans les combats. » [13]

Par conséquent, même si les catholiques ont le droit – et même parfois le devoir – de reconnaître la légitimité d’un gouvernement impie (surtout lorsqu’il s’agit de limiter les risques de guerre civile), il ne leur est cependant pas interdit de s’opposer aux lois anticléricales.

Léon XIII : « En d’autres termes, dans toute hypothèse, le pouvoir civil, considéré comme tel, est de Dieu et toujours de Dieu : « Car il n’y a point de pouvoir si ce n’est de Dieu. » (Romains 13 ; 1). Par conséquent, lorsque les nouveaux gouvernements qui représentent cet immuable pouvoir sont constitués, les accepter n’est pas seulement permis, mais réclamé, voir même imposé par la nécessité du bien social qui les a faits et les maintient. D’autant plus que l’insurrection attise la haine entre les citoyens, provoque les guerres civiles et peut rejeter la nation dans le chao de l’anarchie. […] Mais une difficulté se présente : « Cette république, fait-on remarquer, est animée de sentiments si antichrétiens que les hommes honnêtes, et beaucoup plus les catholiques, ne pourraient consciencieusement l’accepter. » Voilà surtout ce qui a donné naissance aux dissentiments et les a aggravés. On eût évité ces regrettables divergences si l’on avait su tenir soigneusement compte de la distinction considérable qu’il y’a entre Pouvoirs constitués et Législation. La législation diffère à tel point des pouvoirs politiques et de leur forme, que, sous le régime dont la forme est la plus excellente, la législation peut être détestable ; tandis qu’à l’opposé, sous le régime dont la forme est la plus imparfaite, peut se rencontrer une excellente législation. […] Qu’en France, depuis plusieurs années, divers actes importants de la législation aient procédé de tendances hostiles à la religion, et par conséquent aux intérêts de la nation, c’est l’aveu de tous, malheureusement confirmé par l’évidence des faits. Nous-mêmes, obéissant à un devoir sacré, Nous en adressâmes des plaintes vivement senties à celui qui était alors à la tête de la République. […] En conséquence, jamais on ne peut approuver des points de législation qui soient hostiles à la religion et à Dieu ; c’est, au contraire, un devoir de les réprouver. » [14]

Dès lors, l’acceptation de la domination d’un pouvoir non-catholique ne doit pas conduire les citoyens catholiques à faire preuve d’une quelconque soumission envers une législation contraire à la loi divine.

Léon XIII : « C’est pour ces motifs et dans ce sens que Nous avons dit aux catholiques français : « Acceptez la République, c’est-à-dire le pouvoir constitué existant parmi vous, respectez-la ; soyez-lui soumis comme représentant le pouvoir venu de Dieu. » Mais il s’est trouvé des hommes appartenant à divers partis politiques, et même sincèrement catholiques, qui ne se sont pas exactement rendu compte de Nos paroles. Elles étaient pourtant si simples et si claires qu’elles ne pouvaient donner lieu, semblait-il, à de fausses interprétation. […] Après avoir solidement établi dans notre Encyclique cette vérité, Nous avons formulé la distinction entre le pouvoir politique et la législation, et Nous avons montré que l’acceptation de l’un n’impliquait nullement l’acceptation de l’autre ; dans les points où le législateur, oublieux de sa mission, se mettait en opposition avec la loi de Dieu et de l’Église. Et, que tous le remarquent bien, déployer son activité et user de son influence pour amener les gouvernements à changer en bien des lois iniques ou dépourvues de sagesse, c’est faire preuve d’un dévouement à la patrie aussi intelligent que courageux, sans accuser l’ombre d’une hostilité aux pouvoirs chargés de régir la chose politique. Qui s’aviserait de dénoncer les chrétiens des premier siècles comme adversaires de l’Empire Romain parce qu’ils ne se courbaient point devant ses prescriptions idolâtriques, mais s’efforçaient d’en obtenir l’abolition ? » [15]

Par ailleurs, bien que l’Église condamne toute forme d’insurrection, elle enseigne néanmoins que le recours à la violence contre un pouvoir constitué peut parfois devenir légitime dans certaines circonstances, comme ce fut par exemple le cas lors de la guerre de Vendée (1793-1796), lors de la guerre des Cristéros au Mexique (1926-1929), ou lors de la guerre d’Espagne (1936-1939).

Pie IX, Syllabus (8 décembre 1864), Proposition n°24 : « L’Église n’a pas le droit d’employer la force ; elle n’a aucun pouvoir temporel direct ou indirect. » (Proposition condamnée).

En effet, selon la doctrine sociale de l’Église, il existe cinq conditions pour que la résistance contre un gouvernement injuste soit considérée comme licite : 1) Elle ne doit pas être conçue comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen visant à défendre le bien commun ; 2) Elle ne doit justifier aucune action intrinsèquement mauvaise ; 3) Elle ne doit pas causer à la communauté des dommages supérieurs à ceux qui doivent être réparés ; 4) Le clergé n’a pas pour tâche de fournir des armes aux laïques, mais seulement de les préparer à faire bon usage de leur droit à la légitime défense. 5) Le clergé doit collaborer à toutes les initiatives sociales qui ne s’opposent pas au dogme ou aux lois de la morale chrétienne. En conséquence, si ces conditions ne sont pas respectées, toute forme de lutte armée contre un gouvernement doit être considérée comme illicite.

Pie XI : « Vous [les évêques du Mexique] avez rappelé à vos fils plus d’une fois que l’Église préconise la paix et l’ordre, même au prix de lourds sacrifices, et qu’elle condamne toute insurrection ou violence injuste contre les pouvoirs constitués. D’autre part, vous avez aussi affirmé que si le cas se produit où ces pouvoirs constitués s’insurgent contre la justice et la vérité au point de détruire jusqu’aux fondement même de l’autorité, on ne voit pas comment on pourrait condamner alors le faut que des citoyens s’unissent pour défendre la nation et se défendre eux-mêmes, par des moyens licites et appropriés, contre ceux qui se prévalent du pouvoir public pour entraîner le pays à sa ruine. S’il est vrai que la solution pratique dépend des circonstances concrètes, Nous avons toutefois le devoir de rappeler quelques principes généraux qu’il faut toujours garder présents à la mémoire ; les voici : 1° Que ces revendications ont un caractère de moyen, de fin relative, et non de fin dernière et absolue ; 2° Que leur caractère de moyen ne justifie que des actions licites et non des actions intrinsèquement mauvaises ; 3° Que si les moyens doivent être proportionnés à la fin, il faut en user seulement dans la mesure où ils servent à l’obtenir ou à la rendre possible en tout ou en partie, et de telle manière qu’ils ne causent pas à la communauté des dommages supérieurs à ceux qu’on peut réparer ; 4° Que l’usage de ces moyens et l’exercice des droits civiques et politiques dans toute leur extension, englobant aussi les problèmes d’ordre purement matériel et technique ou de défense violente, ne comptent d’aucune manière parmi les tâches du clergé et de l’Action catholique comme tels, bien qu’il incombe au clergé et à l’Action catholique de préparer les laïques à faire bon usage de leurs droits et à les défendre par tous les moyens légitime, suivant que l’exige le bien commun ; 5° Le clergé et l’Action catholique étant, en vertu de leur mission de paix et d’amour, destinés à unir tous les hommes in vinculo pacis, doivent contribuer à la prospérité de la nation, principalement au favorisant l’union des citoyens et des classes sociales et en collaborant à toutes les initiatives sociales qui ne s’opposent pas au dogme ou aux lois de la morale chrétienne. » [16]              

C’est pourquoi l’Église n’a jamais inculqué à ses fidèles qu’ils avaient le droit de tenter de renverser un gouvernement légitime par la force, [17] sauf lorsque ce régime se transforme en tyrannie. [18]

Léon XIII : « Inutile de rappeler que tous les individus sont tenus d’accepter les gouvernements et de ne rien tenter pour les renverser ou pour en changer la forme. De là vient que l’Église, gardienne de la plus vraie et de la plus haute notion sur la souveraineté politique, puisqu’elle la fait dériver de Dieu, a toujours réprouvé les doctrines et toujours condamné les hommes rebelles à l’autorité légitime. Et cela, dans le temps même où les dépositaires du pouvoir en abusaient contre Elle, se privant par là du plus puissant appui donné à leur autorité, et du moyen le plus efficace pour obtenir du peuple l’obéissance à leurs lois. On ne saurait trop méditer sur ce sujet les célèbres prescriptions que le Prince des Apôtres, au milieu des persécutions, donnait aux premiers chrétiens : « Honorez tout le monde ; aimez la fraternité : craignez Dieu : rendez honneur au roi. » (1 Pierre 2 ; 17). Et celle de saint Paul : « Je vous en conjure donc avant toutes choses : ayez soin qu’il se fasse au milieu de vous des obsécrations, des oraisons, des demandes, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois, et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie tranquille, en toute piété et chasteté : car cela est bon et agréable devant notre Seigneur Dieu. » (1 Timothée 2 ; 1). » [19]    

Du reste, bien que l’Église n’approuve pas vraiment le principe du suffrage universel, [20] elle n’a pourtant jamais interdit aux catholiques d’exercer leur droit de vote lorsque cela est nécessaire au salut public.

Léon XIII : « Il importe encore au salut public que les catholiques prêtent sagement leur concours à l’administration des affaires municipales, et s’appliquent surtout à faire en sorte que l’autorité publique pourvoit à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse, comme il convient à des chrétiens : de là dépend surtout le salut de la société. […] D’ailleurs, s’ils s’abstiennent, les rênes du gouvernement passeront sans contestation entre les mains de ceux dont les opinions offrent certainement peu d’espoir de salut pour l’État. Ce serait d’ailleurs pernicieux pour les intérêts chrétiens, car les ennemis de l’Église auraient tout le pouvoir et ses défenseurs aucun. Il est donc évident que les catholiques ont de justes raisons de participer à la vie politique ; parce qu’ils le font et qu’ils doivent le faire non pas pour approuver ce qui peut être répréhensible actuellement dans les institutions politiques, mais pour puiser dans ces mêmes institutions, autant que faire se peut, le bien public sincère et véritable, en se proposant d’infuser dans toutes les veines de l’État, comme une sève et un sang guérisseurs, la vertu et l’influence de la religion catholique. » [21]

L’Église enseigne d’ailleurs que le droit de vote implique logiquement des devoirs moraux.

Pie XII : « L’exercice du droit de vote est un acte de grave responsabilité, du moins lorsqu’il s’agit d’élire qui sera chargé de donner au pays sa constitution et ses lois, notamment celles qui touchent, par exemple, à la sanctification des fêtes, au mariage, à la vie familiale et à l’école, et qui guident, selon la justice et l’équité, les différentes phases de la vie sociale. Il appartient donc à l’Église d’expliquer aux fidèles leurs devoirs moraux qui découlent de leur droit de vote. » [22]  

Ces devoirs moraux impliquent naturellement que les fidèles ne doivent voter que pour des candidats qui défendent intégralement la religion catholique.

Pie XII : « Or, il est évident que la voix de la conscience impose à tout catholique sincère la nécessité de voter pour les candidats ou les listes de candidats qui lui offrent des garanties vraiment adéquates pour la protection des droits de Dieu et des âmes, pour le véritable bien des individus, des familles et de la société, conformément aux lois de Dieu et à l’enseignement moral de l’Église. » [23] 

Ainsi, il est donc strictement interdit aux catholiques d’apporter leur soutien à des partis politiques dont le programme n’est pas conforme à la doctrine de l’Église.

Cardinal August Hlond : « Les catholiques ne peuvent pas appartenir à des organisations ou à des partis dont les principes sont contraires à la doctrine chrétienne, ou dont les actions et les activités cherchent en fait à saper l’éthique chrétienne. Les catholiques ne peuvent voter que pour des personnes, des listes de candidats et des programmes électoraux qui ne s’opposent pas à la doctrine et à la morale catholiques. Les catholiques ne peuvent voter ou se porter candidats sur des listes électorales dont les programmes et les méthodes de gouvernement sont contraires au bon sens, au bien-être de la nation et de l’État, à la morale chrétienne, et à la perspective catholique. » [24] En conclusion, puisque l’Église nous laisse la possibilité d’accepter d’autres régimes que la monarchie, nous n’avons donc aucune raison de croire que seuls les royalistes seraient catholiques, même si ces derniers ont parfaitement le droit de préférer la royauté à d’autres formes de gouvernement


[1] Évangile selon Saint Luc, chapitre 20, verset 25.

[2] Du Royaume. Éd. Louis Vivés (1857), Livre I, Chapitre III, p. 8

[3] Somme théologique, Ia IIae, Question 105, Article I.

[4] Encyclique Libertas Praestantissimum (28 juin 1888).

[5] Allocution Quare lacrymæ (17 juin 1793).

[6] Allocution Quare lacrymæ (17 juin 1793).

[7] Les controverses de la foi chrétienne contre les hérétiques de ce temps. Tome II, 5ème controverse, Livre III, Chapitre XXI.

[8] Saint Augustin : « Or, il n’est de véritable justice que dans cette république dont Jésus-Christ est le fondateur et le souverain, si toutefois nous la nommons république, ne pouvant nier qu’elle ne soit en réalité la chose du peuple. Que si ce nom, pris ailleurs dans un autre sens, s’éloigne trop de notre langage accoutumé, il n’est pas moins certain que la vraie justice n’appartient qu’à cette Cité dont l’Écriture sainte a dit : « On a publié sur toi des choses glorieuses, Cité de Dieu. » (Psaume 87 ; 3). Mais, pour revenir à la question réelle, malgré les éloges que nos adversaires décernent à la république telle qu’elle fut ou telle qu’elle est, toujours est-ce une vérité qu’au témoignage de leurs plus savants auteurs, longtemps avant la naissance du Christ, elle n’était que désordre et corruption ; ou plutôt elle n’était plus, elle avait péri dans la ruine de ses mœurs. » (Cf. La Cité de Dieu. Livre II, Chapitre XXI et XXII).

[9] Lettre n° XLVII à Charles-Quint (16 décembre 1522). Cité dans : Correspondance de Charles-Quint et d’Adrien VI, publiée pour la première fois par M. Gachard. Éd. C. Muquardt, (1859), p. 139

[10] Lettre n° XXXIV à Charles-Quint (5 août 1522). Cité dans : Correspondance de Charles-Quint et d’Adrien VI, publiée pour la première fois par M. Gachard. Éd. C. Muquardt, (1859), p. 105

[11] Encyclique Au milieu des sollicitudes (16 février 1892).

[12] Discours sur le Psaume CXXIV.

[13] Encyclique Mirari Vos (15 août 1832).

[14] Encyclique Au milieu des sollicitudes (16 février 1892).

[15] Lettre Notre Consolation (3 mai 1892).

[16] Encyclique Firmissimam Constantiam (28 mars 1937).

[17] Pie IX, Syllabus (8 décembre 1864), Proposition n°63 : « Il est permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes et même de se révolter contre eux. » (Proposition condamnée).

[18] Saint Thomas d’Aquin : « Le régime tyrannique n’est pas juste parce qu’il n’est pas ordonné au bien commun, mais au bien privé de celui qui détient le pouvoir, comme le montre Aristote. C’est pourquoi le renversement de ce régime n’est pas une sédition » (Cf. Somme théologique, IIa IIae, Question 42, Article II).

Précisons cependant que pour qu’il soit légitime de déposer un tyran, il faut, selon les théologiens, plusieurs conditions qu’on peut résumer ainsi : premièrement, que cette tyrannie soit caractérisée c’est-à-dire qu’on puisse reconnaître l’état de tyrannie sur la base de critères objectifs, deuxièmement que le renversement du tyran n’entraîne pas de maux plus grands que l’état antérieur et troisièmement qu’une forme de processus légal impliquant des autorités publiques (et non de simples particuliers ) encadre le processus de déposition.

Le moraliste Castelein écrit par exemple à propos des conditions à respecter: « La tyrannie habituelle et grave, en violant le pacte fondamental, détruit le titre du pouvoir. Quatre conditions cependant sont requises pour que soit licite la résistance active : a)qu’ïl ne reste aucun moyen efficace d’enrayer la tyrannie, par exemple, prières, exhortations, résistance passive, qui toutes doivent être essayées au préalable ; b) que la tyrannie soit manifeste de l’aveu général des hommes sages et honnêtes ; c) qu’il y ait chance probable de succès ; d) qu’il y ait lieu de croire que, de la chute du tyran, ne sortiront pas des maux plus graves… Avec Bellarmin, Suarez, Balmès, Bianchi, avec toute l’école du passé, nous disons que la résistance active est licite sous les quatre conditions précitées, quand le tyran machine la ruine de l’État. » Instil. philosophiez moralis et socialis, 1899, p. 487. Même doctrine dans son Droit naturel, Bruxelles, 1912, p. 791.

Concernant la forme que doit prendre cette résistance à la tyrannie et la nécessité de processus légaux à respecter Saint Thomas explique par exemple dans le De regimine principum que le renversement d’un tyran ne peut être le fait de simples particuliers, et que la décision de le faire doit venir d’autorités publiques:  : “Il semble que c’est plutôt par l’autorité publique que l’on doit s’opposer à la tyrannie des princes, et non par les entreprises de quelques particuliers. Parce que, d’abord, si une société a le droit de se donner un roi, elle a également celui de le déposer ou de tempérer son pouvoir, s’il en abuse tyranniquement. Et il ne faut pas croire que cette société agisse d’une manière injuste en chassant un tyran qu’elle s’est donné, même à titre héréditaire, parce qu’en se conduisant en mauvais prince dans le gouvernement de l’État, il a mérité que ses sujets brisassent le pacte d’obéissance. C’est ainsi que les Romains renversèrent du trône Tarquin le Superbe… » Opusc. xx, 1. I, c. vi.

De son côté, Suarez écrit également qu’il faut que ce soit la nation entière et qu’il y ait une assemblée publique pour décider la chose:   : « Si le roi légitime gouverne tyranniquement et que la nation n’ait pas d’autre moyen de se défendre que d’expulser et de déposer le roi, la nation entière pourra, dans une assemblée publique et commune des cités et des chefs, déposer le roi ; cela en vertu du droit naturel, qui permet de repousser la force par la force, et parce que toujours le cas de nécessité de conserver la république est compris comme exception dans la première convention où la nation confia le souverain pouvoir au roi. » Defensio fid. cath., 1. VI, c. iv, § 7 ; cf. De caritate, dist. XIII, sect. vm ; De censuris, dist. XV, sect. vi, § 7.

[19] Encyclique Au milieu des sollicitudes (16 février 1892).

[20] Pie IX, Allocution à des pèlerins Français (5 mai 1874) : « Oui, le suffrage universel mériterait plutôt le nom de folie universelle, et, quand les sociétés secrètes s’en emparent, comme il arrive trop souvent, celui de mensonge universel. »

[21] Encyclique Immortale Dei (1er novembre 1885).

[22] Discours aux pasteurs et prédicateurs de Carême à Rome (1946) : Acta Apostolicae Sedis, Vol. 38, p. 187

[23] Discours aux pasteurs et prédicateurs de Carême à Rome (1948) : Acta Apostolicae Sedis, Vol. 40, p. 119

[24] Salviamo-L’Italia – Sauvons l’Italie, éd Talbet, (10 septembre 1946), p. 188

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2 Commentaires

Caralsol 8 août 2023 - 18h23

la défense de voter pour des candidats non-catholiques n’ayant pas un programme intégralement catholique avait effectivement un sens au XIXème et au début du XXème siècle mais cette restriction garde-t-elle un caractère impératif dans un temps où plus aucun candidat politique (ayant des chances non pas de victoire mais de ne pas faire un score ridiculement bas) ne défend un tel programme ? N’y a-t-il pas dans un tel contexte pour un catholique la permission de voter pour un candidat qui faute de défendre un programme catholique aurait au moins pour avantage de mieux défendre que les autres certains principes de lois naturelles et le bien commun ?

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Brice Michel 9 août 2023 - 6h31

Bonjour, c’est un raisonnement de tournure libérale que vous avez là (d’ailleurs, quel intérêt si c’est juste pour “faire un score qui ne soit pas ridiculement bas” et au final ne pas exercer le pouvoir? Le problème c’est que le système électoral est très bien fait(du point de vue de l’ennemi je veux dire): il va vous laisser faire passer telle ou telle vérité particulière, (“certains principes de lois naturelles et le bien commun”) en vue de vous obliger à faire des concessions sur bien d’autres points. Exemple, Zemmour: vous votez pour la limitation de l’immigration mais vous devez accepter la laïcité…Pour défendre une vérité vous allez devoir sacrifier la Vérité en général. D’ailleurs Monseigneur Ernest Jouin avait dit “Il n’est pas permis de voter pour un candidat partisan des lois laïques ou décidé à les maintenir. Ces lois attentent à L’Autorité de Dieu, Maître Souverain des peuples et des individus.” Si un candidat défend des principes de la loi naturelle mais défend un programme non catholique, en votant pour lui vous mettez le doigt dans l’engrenage de la Révolution qui est une machine de guerre à éroder la Vérité, donc vous faites le jeu de l’ennemi au final. Cette mécanique infernale est très bien expliquée dans une brochure très bien faite :”Voter: piège ou devoir?”.Guennaël de Pinieux, Cercle Georges Cadoudal. Editions de Chiré. Le combat catholique doit s’appuyer sur la défense de la vérité et la fermeté des principes. La défense de la vérité intégrale a une puissance de frappe beaucoup plus dangereuse pour le système révolutionnaire qu’une victoire électorale temporaire qui ne remettra pas en cause les grands principes de 1789 qui sous-tendent tout le système actuel.

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