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De la nécessité de ne pas obéir à un faux pape

Par Pierre Joly
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Extrait du livre de Saint Vincent Ferrier : Traité du schisme moderne.

Bien qu’il soit difficile d’être aussi catégorique que Saint Vincent Ferrier sur la question de l’ignorance invincible par rapport à l’acceptation d’un pape, [1] nous avons cependant jugé utile de retranscrire un extrait de son traité sur le grand schisme d’occident, afin de rappeler à nos lecteurs leur devoir de ne pas obéir à un faux pape. Précisons également qu’à cette époque, Saint Vincent Ferrier avait choisi de soutenir Clément VII, contrairement à Sainte Catherine de Sienne qui avait décidé de faire allégeance à Urbain VI. [2] Sans vouloir trancher définitivement la question de savoir laquelle de ces deux personnes était le véritable souverain pontife, [3] nous estimons néanmoins que les arguments théologiques exposés par Saint Vincent Ferrier – dans le but de contester la légitimité d’Urbain VI – valent tout de même la peine d’être examinés.

PARTIE I :

       En ce qui concerne la première question [à savoir : s’il est légal de croire que les deux élus sont des papes], on peut clairement répondre, selon la vérité de la foi chrétienne, qu’il est impossible que les deux élus soient papes. Ce qui peut facilement être prouvé pour de nombreuses raisons.

       D’abord, bien que les peuples chrétiens soient dispersés en de nombreux diocèses et [de nombreuses] nations, de même que l’Église est universelle, il est nécessaire que le peuple chrétien soit un sur le plan œcuménique. C’est pourquoi, de même que dans une ville spécifique qui forme une église particulière, il est nécessaire qu’il y ait un évêque, de même il est nécessaire que dans toute la ville chrétienne il y ait un seul pape, chef et recteur de l’Église universelle. C’est à cet effet que nous lisons dans le Cantique de Salomon : « Il y a soixante reines et quatre-vingts femmes du second rang, et les jeunes filles sont sans nombre. Une seule est ma colombe, ma parfaite ; elle est unique pour sa mère, préférée de celle qui lui a donné le jour. » (Cantiques 6 ; 7-8). Selon la Glose, les « reines » et les « femmes » désignent les différentes églises particulières, et « les jeunes filles » sont les âmes des fidèles. Mais « l’unique colombe » signifie l’Église universelle militante, qui est une, comme l’Église triomphante, et qui appelée « sa mère » est « celle qui lui a donné le jour ».

       Deuxièmement. Dans la véritable Église, il est nécessaire que les fidèles s’accordent sur la même foi. C’est pourquoi l’Apôtre dit : « Un seul seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ephésiens 4 ; 5). Lorsqu’un problème se pose concernant la foi, l’Église serait divisée si elle n’était pas préservée dans son unité par une seule autorité doctrinale. Par conséquent, pour préserver l’unité de l’Église, il faut qu’un seul la gouverne. À ce sujet, nous lisons dans Ézéchiel : « Voilà que moi je prendrai les fils d’Israël du milieu des nations vers lesquelles ils sont allés ; je les rassemblerai de toutes parts, et je les ramènerai dans leur terre, et je ferai d’eux une seule nation dans leur terre sur les montagnes d’Israël, et un seul roi commandera à tous ; et à l’avenir ils ne formeront pas deux nations, et ils ne seront plus divisés en deux royaumes. Et ils ne se souilleront plus par leurs idoles, et par leurs abominations, et par toutes leurs iniquités ; je les sauverai en les retirant de tous les lieux de séjour où ils ont péché, et je les purifierai ; et ils seront mon peuple, et moi je serai leur Dieu. Et mon serviteur David sera leur roi ; un seul pasteur sera pour eux tous » (Ézéchiel 37 ; 21-24).

       Troisièmement. Il ne fait aucun doute que le régime de l’Église doit être le meilleur, puisqu’il a été ordonné par Celui qui a dit : « Par moi les rois règnent, et les législateurs décrètent des choses justes » (Proverbes 8 ; 15). Or, le meilleur régime de la multitude se produit lorsqu’elle est gouvernée par un seul, selon Aristote dans le livre III des Politiciens. En outre, la paix et l’unité des sujets, qui sont les buts de toute société, sont plus faciles à réaliser lorsqu’un seul gouverne que lorsque plusieurs gouvernent. Il est donc évident que le régime de l’Église universelle a été arrangé par Dieu de telle manière qu’un seul gouverne l’Église entière. C’est pourquoi le Christ a dit seulement à Pierre : « Pais mes brebis » (Jean 21 ; 17). Et c’est seulement à Pierre qu’il a promis : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux » (Matthieu 16 ; 19).

       Quatrièmement. L’Église militante dérive de l’Église triomphante et en est l’image. Saint Jean dit dans l’Apocalypse (Apocalypse 21 ; 2) qu’il a vu la nouvelle Jérusalem, c’est-à-dire l’Église militante, descendre du ciel, c’est-à-dire l’Église triomphante. Et dans l’Église triomphante, il n’y a qu’un seul président qui gouverne aussi l’univers : Dieu. Ainsi, dans l’Église militante, une seule personne doit présider et gouverner tout le monde. C’est pourquoi Jésus a dit : « il n’y aura qu’un bercail et qu’un pasteur. » (Jean 10 ; 16).

       Cinquièmement. Dans le corps naturel, il n’y a qu’une seule tête. L’Église universelle est un corps mystique, et les différents fidèles en sont les membres, [qui sont] nés et unis entre eux par l’unité de la foi, de l’espérance et de la charité. Nous lisons dans l’épitre aux Romains : « Car, comme dans un seul corps, nous avons beaucoup de membres, et que tous les membres n’ont point la même fonction. Ainsi, quoique beaucoup, nous sommes un seul corps en Jésus-Christ » (Romains 12 ; 4-5). Il n’y a donc nécessairement dans le corps de l’Église universelle qu’un seul pape, chef et recteur. À cet égard, Osée a prophétisé : « Et les fils de Juda et les fils d’Israël se réuniront ensemble ; et ils se donneront un seul chef » (Osée 1 ; 11).    

       Sixièmement. C’est une vérité de foi que le Pape a le plein pouvoir sur tout le monde. C’est pourquoi le Christ a dit à Pierre : « tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les cieux; et tout ce que tu délieras sur la terre, sera aussi délié dans les cieux » (Matthieu 16 ; 19). S’il y avait deux papes en même temps, l’un aurait plus de pouvoir que l’autre, ou pas. Si l’un n’avait pas plus de pouvoir que l’autre, aucun des deux ne serait pape, car le pape a le pouvoir sur tout le monde, comme on l’a dit. S’il avait ce pouvoir, l’inférieur ne serait pas pape. Ainsi a promis le Seigneur, parlant par la bouche d’Ézéchiel : « Je sauverai mon troupeau, et il ne sera jamais la proie des nations ; je lui susciterai un seul berger qui le fera paître » (Ézéchiel 34 ; 28-31). Pour toutes ces raisons, il apparaît clairement qu’il n’est pas légitime de croire que les deux élus en question soient de véritables papes. Par conséquent, ceux qui, avec le désir d’obtenir des grâces ou des dispenses, ou d’accéder à toutes sortes de privilèges, vont vers l’un et l’autre, les vénèrent comme d’authentiques papes, commettent une erreur très grave. Puisqu’il est vrai que tous deux ne peuvent pas être papes, mais que l’un d’eux est un apostat et un antipape, il est évident que ceux qui, dans leurs supplications, révèrent tous deux comme tels, n’échappent pas aux peines et aux malédictions dans ce canon du décret qui commence par « Au nom du Seigneur » (J. Gratianus, Decretum, concordantia discordantium canonum, 1, dist. 23, e. 1 : 44). Et personne ne peut être excusé de cela pour cause d’ignorance, comme on le verra par la suite.  

       Concernant la deuxième question [à savoir : s’il est légal ou sûr de croire qu’aucun d’entre eux n’est pape], je dis qu’il n’est pas licite, ou sans danger pour aucun chrétien, de croire ou de dire qu’aucun des deux élus n’est un vrai pape. Cela se manifeste pour les trois raisons suivantes :

       Premièrement. Soit la première élection a été dûment et canoniquement célébrée, soit non. Si cela a été fait canoniquement, alors tous les chrétiens doivent croire que le premier élu est un vrai pape. Et si la première élection n’a pas été célébrée canoniquement, alors le premier élu n’est sûrement pas un vrai pape ; et, par conséquent, le Siège Apostolique était vacant avant la deuxième élection. Et comme dans la seconde élection, plus des deux tiers des cardinaux sont intervenus, ils assurent unanimement que le second [élu] est le vrai pape. C’est pourquoi ce second [élu] doit être considéré universellement et en toute sécurité comme le véritable pape. Dans ce cas, selon la loi, lorsque le Siège Apostolique est vacant, le monde entier dépend, en ce qui concerne l’acceptation du pape, des deux tiers des cardinaux. Il est dit dans le livre des Rois : « au Seigneur appartiennent les pôles de la terre, et il a posé sur eux l’univers. » (1 Rois 2 ; 8).

       Deuxièmement. Dans le doute, lorsqu’il s’agit de choses difficiles [à croire], notamment en matière de foi, personne ne doit se fier à sa propre opinion ; mais, confiant dans l’aide divine, il doit s’appuyer sur les conseils et la détermination des anciens. Il est dit dans le livre des Proverbes : « Aie confiance dans le Seigneur de tout ton cœur, et ne t’appuie pas sur ta prudence » (Proverbes 3 ; 5), c’est-à-dire en te mettant devant plusieurs, comme le dit le Glossaire interlinéaire. Or, les pères et les anciens du peuple chrétien, c’est-à-dire les cardinaux et autres prélats, et presque tous les docteurs, soutiennent et affirment que l’un de ces deux élus est le vrai pape. Il est donc très dangereux et présomptueux pour tout chrétien de croire et de dire qu’aucun d’eux n’est pape.

       Troisièmement. Il est vrai, selon la foi des anciens, corroborée par les saints docteurs, que l’Église universelle ne peut [pas] se tromper dans ses jugements, surtout en matière de foi. C’est ce que le Christ a promis lorsqu’il a dit : « Quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité » (Jean 16 ; 13). C’est-à-dire la vérité nécessaire au salut, selon la glose interlinéaire. Si donc, dans un fait d’une telle importance pour la foi, l’Église universelle ne soutient pas l’un ou l’autre de ceux deux élus, ou si l’un des deux élus n’est pas un vrai pape, il faudrait alors dire que le Christ a abandonné son Église et qu’Il n’a pas tenu sa promesse. Ce qu’aucun chrétien n’est autorisé à croire ou à dire. Contre cette thèse, d’autres invoquent certains canons, notamment celui qui dit : « Si à cause de l’imprudence des rivaux, deux [élus] ont été choisis illicitement, [alors] nous ne permettons à aucun d’entre eux d’être le futur pontife ; [mais] nous croyons en celui qui, par une nouvelle élection, est désigné par la majorité des clercs, [car] le jugement divin et le consentement de tous doit rester dans le Siège Apostolique. » (J. Gratianus, Decretum, dist. 79, c. 8). Par ce texte et par bien d’autres, certains veulent prouver qu’aucun des deux élus en question n’est un vrai pape, et qu’un troisième doit être élu à l’unanimité des cardinaux, et que celui-ci sera, sans aucun doute, le véritable pape. Mais la vérité est que ni le texte allégué, ni ceux qui l’utilisent, ne contredisent ce que nous avons dit. Car, selon la Glose, le texte cité s’applique lorsque personne n’est élu par les deux tiers des cardinaux. Et dans notre cas, les deux [prétendants à la papauté] ont été élus par les deux tiers des cardinaux. C’est pourquoi, sans aucun doute, l’un des deux doit être universellement accepté comme le véritable pape, comme cela sera prouvé plus clairement dans la deuxième partie du traité. D’après ce qu’il a été dit, il est clair que ceux qui prétendent être indifférents à ce fait, n’adhérant ni à l’un ni à l’autre [des deux élus], tombent dans l’erreur. En effet, de même que dans ce cas il serait condamnable de se prononcer en faveur de celui qui n’est pas pape, comme il a été dit au chapitre précédent, de même il ne serait pas moins coupable de se détourner du vrai [pape], en le privant des honneurs pontificaux, même si c’était par ignorance, comme on le verra dans ce qui suit.            

       Concernant la troisième question [à savoir : s’il est dangereux pour l’âme chrétienne d’adhérer comme pape à quelqu’un qui n’est pas pape, et de s’éloigner, par ignorance, du vrai pape], je dis que pour tous les chrétiens à qui est dûment parvenue la notification des cardinaux concernant les deux élus, il est sans aucun doute très dangereux et condamnable d’obéir comme pape à quelqu’un qui n’est pas pape, en s’écartant du vrai, même si c’est par ignorance. Cela est prouvé pour de nombreuses raisons.

       D’abord, parce que, ceux qui font cela pèchent gravement contre deux préceptes divins, car en s’éloignant du vrai pape et en ne lui rendant pas l’honneur qui lui est dû, ils enfreignent le premier précepte de la deuxième table : Honore ton Père et ta Mère… Le pape légitime est le Père universel des chrétiens, et l’Église en est la Mère. De plus, en obéissant à celui qui n’est pas pape et en lui rendant les honneurs papaux, on viole le premier précepte de la première table, dans lequel il est ordonné : N’adorez pas un dieu étranger, ni une idole, ni une statue, ni aucune représentation de ce qui est dans le ciel (Deutéronome 5 ; 7-9). Or, qu’est-ce qu’un faux pape sinon un dieu étranger, une idole, une statue, une représentation fictive du Christ ? Il est donc évident qu’il est très dangereux pour toute âme chrétienne d’enfreindre, même par ignorance, les deux préceptes divins indiqués.

       Deuxièmement. Saint Thomas [d’Aquin] dit que l’ignorance n’excuse le péché que lorsqu’elle est invincible, ou lorsque l’on ignore ce qu’il n’y a aucune obligation de savoir (Somme théologique, IIa IIae, Question 74-76, Article 1-2). Il est clair que l’ignorance d’un vrai Pape n’est pas invincible, et cela pour deux raisons :

  1. Parce que, s’agissant des faits de foi, puisque de cette question dépend un article de foi, comme on le verra dans le chapitre suivant, il est clair que si l’homme fait ce qui est de son ressort, il est certain que la clémence divine lui insufflera la lumière de la foi, comme le dit Saint Augustin en commentant l’Évangile de Saint Jean. Et le Seigneur dit : « Demandez, et il vous sera donné ; cherchez et vous trouverez ; frappez, et il vous sera ouvert. Car quiconque demande, reçoit ; et qui cherche, trouve ; et à qui frappe, il sera ouvert. » (Matthieu 7 ; 7-8 & Luc 11 ; 9-10).
  • Parce que, si l’on présuppose les fondements de la foi chrétienne, chacun peut facilement parvenir à la connaissance du vrai Pape, comme cela sera prouvé dans la deuxième partie. Donc, en ne connaissant pas le vrai Pape, on ignore sans doute quelque chose que tout croyant devrait savoir, car tout comme le berger des chrétiens doit connaître ses propres brebis pour les diriger et les garder, selon le livre des proverbes : « Connais soigneusement ton bétail, et considère tes troupeaux » (Proverbes 27 ; 23), de la même manière, toutes les brebis du Christ doivent connaître leur propre berger, pour l’écouter et le suivre. Ainsi, le Seigneur a dit : « Celui qui n’entre point par la porte dans le bercail des brebis, mais y monte par ailleurs, est un voleur et un larron. Mais celui qui entre par la porte, est le pasteur des brebis. C’est à celui-ci que le portier ouvre, et les brebis entendent sa voix, et il appelle ses propres brebis par leur nom, et les fait sortir. Et lorsqu’il a fait sortir ses propres brebis, il marche devant elles, et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivent point un étranger, mais elles le fuient, parce qu’elles ne connaissent point la voix des étrangers. » (Jean 10 ; 1-5).

        Troisièmement. Selon Saint Thomas [d’Aquin], la loi générale, ou le précepte général des supérieurs, engage chacun après qu’elle a été publiquement promulguée, et dès lors, nul ne peut être excusé de l’observer par ignorance (Somme théologique, Ia IIae, Question 90, Article 4). C’est pourquoi il est écrit dans le Décret : « Les lois sont établies lorsqu’elles sont promulguées » (J. Gratianus, Decretum, I, dist, 4, c. 3). Eh bien, il est clair que l’élection du vrai pape, quel qu’il soit, faite par les cardinaux, a été promulguée dans le monde entier : « Leur bruit s’est répandu dans toute la terre, et leurs paroles jusques aux confins du globe de la terre » comme le dit le Psaume (Psaume 18 ; 5). Il est donc évident que, dans ce cas, aucune ignorance ne nous excuse. On ne peut pas dire que la vaine promulgation des cardinaux, ou les nombreuses opinions des docteurs sur la papauté, ou sur tout autre cause, nous donne légalement la possibilité d’ignorer ou de douter, comme je le prouverai plus clairement dans la seconde partie.

         Quatrièmement. On dit généralement, et à juste titre, qu’à l’heure actuelle, à cause de la double élection du Pape, il y’a un schisme dans l’Église, ou plutôt, il y’a une séparation schismatique de l’Église. Si le schisme existe, il faut qu’il y’ait des schismatiques, qui ne sont pas précisément ceux qui obéissent au vrai pape, mais ceux qui obéissent au faux [pape] comme s’il était légitime. L’ignorance n’excuse pas les schismatiques ; car, selon Saint Paul : « Si quelqu’un l’ignore, il sera ignoré. » (1 Corinthiens 14 ; 38). Saint Ambroise [de Milan], commentant la lettre aux Romains, dit : « Si vous êtes ignorant, vous péchez gravement. » Notre premier objectif est donc clair. Il convient toutefois de noter que, dans ce type d’ignorance, tout le monde ne pèche pas de la même manière. Plus les hommes excellent dans la science ou dans un métier ou un diplôme, plus leur péché d’ignorance est grand. Et à cause de cette même ignorance, plus ils adhèrent au faux pape, en le défendant, en l’honorant, ou en le prêchant comme pape, plus ils s’écartent du vrai [pape], en le contestant, en le blasphémant, ou en séduisant les autres, et plus ils pèchent gravement. Et ceux qui, connaissant la vérité, ne communient pas avec elle, mais [qui] préfèrent rester dans leur ignorance tant que dure le schisme actuel, afin d’obtenir des biens temporels et de recevoir des revenus ecclésiastiques ou des choses similaires, pèchent beaucoup plus que les autres qui ignorent la vérité par pure négligence. Néanmoins, tous ceux qui souffrent d’ignorance en obéissant au faux pape et en s’éloignant du vrai, pèchent mortellement, s’exposant ainsi à un grand danger, car ils enfreignent le précepte divin et sont automatiquement excommuniés, selon la loi. […]

Source :

https://fundacionsanvicenteferrer.blogspot.com/2013/01/tratado-del-cisma-moderno-2.html

PARTIE II :

     À la première question [à savoir : si l’élection qui est tombée sur Bartholomé, archevêque de Bari, est totalement et absolument nulle de plein droit], je réponds avec fermeté et sans crainte que l’élection papale de Bartholomé, archevêque de Bari – si on peut la qualifier d’élection – est, de plein droit, nulle et non avenue, et qu’elle manque de solidité et de fermeté. Pour le montrer, laissant de côté les avis des docteurs qui pourraient servir notre propos, je propose une seule raison juridique solide, sur laquelle tout le monde s’accorde, à savoir : toute élection faite par crainte ou appréhension capable d’influencer un homme fort, et qui ne serait pas faite en l’absence d’une telle crainte, est, en droit, totalement et absolument nulle. Or, l’élection papale du susdit Bartholomé – si on peut appeler cela une élection – a été faite par crainte ou par peur capable d’influencer un homme fort, et sans cette crainte, elle n’aurait jamais eu lieu. Pour expliquer cet argument, il faut tenir compte du fait que, bien que les juristes admettent de nombreux types de peur qui influencent l’homme constant, ils admettent surtout comme telle la peur de la mort, lorsqu’elle provient d’une cause proche et volontaire. Si cette crainte de la mort venait d’une cause lointaine ou volontaire, on dirait qu’elle n’a aucune influence sur l’homme ferme ; ce serait une crainte vaine, comme le dit le Psaume : « ils ont tremblé de frayeur là où n’était pas la crainte. » (Psaume 52 ; 6). Et les Proverbes : « L’impie fuit sans que personne ne le poursuive » (Proverbes 28 ; 1). En ne choisissant pas un Romain ou un Italien pour la papauté, les cardinaux créèrent une disposition très proche à craindre la mort, car dans ces circonstances, on pouvait penser à tout. On dit proverbialement que celui qui craint la mort réfléchit à beaucoup de choses.

     Les cardinaux considérèrent la pression des Romains. Les recteurs et les fonctionnaires de la ville, aussitôt après la mort de Grégoire, convoquèrent des conciles nombreux et divers, dont ils tirèrent la ferme conséquence qu’ils obligeraient les cardinaux à élire pour la papauté un Romain ou un Italien. Et à plusieurs reprises, accompagnés de nombreux citoyens Romains, ils les suppliaient de le faire, les avertissant que, sinon, il surgirait de graves dangers et des scandales irréparables. Pour renforcer leur position, ils invoquèrent le désir du peuple Romain, délibérément et inébranlablement obstiné. C’est ainsi qu’ils amenèrent dans la ville une multitude de paysans de leur entourage, plus enclins au tumulte et à la sédition, plus irréfléchis et plus éhontés envers le mal. Ils renforcèrent la garde de la ville, plaçant des sentinelles aux portes afin que les cardinaux ne puissent pas s’échapper. En outre, alors que les cardinaux s’apprêtaient à entrer en conclave pour l’élection du pontife suprême, presque tout le peuple Romain, armé et rassemblé sur la place Saint-Pierre, criait d’un ton menaçant : « Nous le voulons Romain ! Nous le voulons Romain ! Au moins Italien ! » Beaucoup disaient aux cardinaux qui se rendaient au conclave : « Faites un pape Romain ou au moins un Italien, sinon vous serez détruits. »

     Par la suite, les cloches du chapitre de Saint-Pierre, installées près du Palais, se mirent soudain à sonner, en martelant, comme il était d’usage de le faire dans les cas de guerres graves et rapides pour rassembler le peuple. Les régents de la ville, après l’entrée des cardinaux au conclave pour l’élection, n’ont pas voulu fermer la porte du conclave, même si les cardinaux le leur avaient demandé, ni faire beaucoup d’autres choses que, de plein droit, ils devaient faire et observer pour l’élection du pontife suprême. De plus, sans crainte d’excommunication, ils entrèrent imprudemment et tumultueusement au conclave, instillant une peur terrible chez les cardinaux en disant : « Regardez, nous ne pouvons plus arrêter l’élan et la fureur de ce peuple ; si vous n’élisez pas immédiatement un pape Romain ou Italien, vous serez tous mis en pièces. » Tout ce que je viens de dire, et bien d’autres choses graves et violentes qui se sont produites dans cette occasion, sont connues de tous ceux qui se trouvaient alors à Rome, et les cardinaux le déclarèrent ainsi dans leurs serments.

     Deuxièmement. En même temps que cette grave violence des Romains, les cardinaux louaient la méchanceté invétérée et habituelle de ce peuple. Tout le monde sait par expérience très ancienne que les Romains ont toujours été habitués au mal, faciles à irriter, prêts à la sédition et audacieux pour blesser et tuer. Combien de pontifes suprêmes et de saints cardinaux ; combien de saints martyrs, hommes et femmes, enfants et personnes âgés ; combien de bons rois, princes, et empereurs, ont été traités indécemment, battus sans respect et cruellement tués par la méchanceté et l’arrogance des Romains ! Personne ayant lu les chroniques et les récits des Pères ne l’ignore. Pour la même raison, Saint Bernard [de Clairvaux] écrit à Eugène, au livre IV : « Quoi de plus notoire au cours des siècles que l’orgueil et l’arrogances de Romains, peuple peu habitué à la paix, habitué au tumulte, cruel et intraitable, qui ignore jusqu’à présent la soumission, sauf quand il ne peut pas résister ? » (De considératione, I, 4). La méchanceté des Romains était particulièrement cruelle envers les personnes ecclésiastiques, et tout particulièrement envers les Français, dont presque tous les cardinaux étaient de cette nationalité.

     Troisièmement. Outre cette impression terrible des Romains, leur méchanceté et leur cruauté invétérées, ainsi que leur audace téméraire lorsqu’ils se mettaient en colère, les cardinaux considéraient leur penchant inné, et dans une certaine mesure, connaturel au mal. C’est pourquoi Saint Bernard [de Clairvaux] dit d’eux : « Avant tout, ils sont sages pour faire le mal, et ne savent pas faire le bien. Détestant le ciel et la terre, ils levèrent la main contre l’un et l’autre. Impies envers Dieu, insouciants envers ce qui est saint. Séditieux entre eux, rivaux avec leurs voisins, inhumains avec les étrangers, aimés de personne, puisqu’ils n’aiment personne : il faut les craindre, parce qu’ils cherchent par tous les moyens à être craints de tous. Ils savent commander. Infidèles aux supérieurs, insupportables aux inférieurs. Ils n’ont pas honte de demander et sont arrogants pour nier. Impertinents envers ceux qui leur donnent, impatients de recevoir, ingrats quand ils ont reçu. Ils ont créé leur langage pour raconter de grandes choses et de grands actes, alors qu’ils ne font rien. Ils promettent avec splendeur, mais ils tiennent [leurs promesses] avec avarice. Des flatteurs très doux ; mais des calomniateurs mordants ; ils dissimulent avec candeur, mais trahissent avec une méchanceté raffinée. » Voilà pour Saint Bernard. Qui restera constant et ferme au milieu d’une telle agitation fomentée par un peuple habitué au mal et très enclin à la violence et ne craindra pas pour sa vie? En vérité, il est plus clair que la lumière, pour toute personne sensée, que les cardinaux, réfléchissant à ces trois choses alors imminentes, avaient des raisons justes et immédiates de craindre la mort s’ils n’élisaient pas un pape Romain, comme l’exigeait l’obstination des perfides Romains. Et, poussés précisément par cette terrible peur, les cardinaux qui, pour certaines raisons avaient l’intention d’élire un pape ultramontain, et non un pape Romain ou Italien, ont soudain, sans discussion préalable sur la personne et ses mérites, avec un grand manque de cœur et presque sans réfléchir, poussés par la terrible peur de la mort, élu comme pape Barthélemy, un Italien, archevêque de Bari, bien connu au sein de la curie. Tout cela avec les protestations et les contradictions de nombreux cardinaux. Les cardinaux l’affirment dans leurs serment, eux qui, sans doute, expriment mieux que quiconque, si ce n’est Dieu, leur état d’esprit et ses causes ; il est alors clair que la première élection papale – si on peut l’appeler ainsi – n’a été faite que par la peur capable d’influencer un homme ferme. Et, par conséquent, elle était donc, de plein droit, totalement et absolument nulle et non avenue.

Source :

https://fundacionsanvicenteferrer.blogspot.com/2013/01/tratado-del-cisma-moderno-3.html


[1] Contrairement à Saint Vincent Ferrier, nous n’excluons pas la possibilité que des catholiques puissent avoir été victimes d’une ignorance invincible concernant l’obéissance au souverain pontife. À notre avis, lors du grand schisme d’occident, il n’est pas impossible que même certains saints aient pu méconnaître l’identité du pape légitime, sans pour autant être tombés dans le schisme ou l’hérésie. En d’autres termes, il est permis de supposer que ni Clément VII ni Urbain VI ne furent de vrais papes, bien qu’il soit possible de trouver des théologiens qui ont soutenu l’opinion inverse. Par exemple, dans son livre : De Ecclesiæ Christi, le Père Timothy Zapelana affirmait qu’Urbain VI était le vrai pape, mais que ce dernier avait quand-même transmis la juridiction aux évêques nommés par Clément VII en raison de l’erreur commune des fidèles.

[2] Sainte Catherine de Sienne : « Tâchez, je vous en conjure, de connaître la vérité, et qui sont ceux qui vous font prendre le mensonge pour la vérité en disant que le Pape Urbain VI n’est pas le vrai Pape, et que l’antipape, qui est réellement un antéchrist, un membre du démon, est le Christ de la terre ? Quelle preuve ont-ils de le dire ? Aucune : leur langage est faux et trompeur ; ils mentent sur leur tête. Et que peuvent dire ces hommes pervers, qui sont plutôt des démons incarnés que des hommes ? De quelque côté qu’ils se tournent, ils doivent reconnaître qu’ils sont coupables. S’il était vrai que le Pape Urbain VI ne fût point Pape, ils mériteraient mille morts, comme des menteurs convaincus d’imposture. […] Où est l’homme juste qu’ils ont choisi pour antipape, si le Souverain Pontife, le Pape Urbain VI, n’est pas véritablement le Vicaire du Christ ? Qui ont-ils un choisi ? Un homme de sainte vie ? Non, mais un homme coupable, un démon, car il fait l’office des démons. Le démon cherche à nous séparer de la vérité, et lui fait de même. Et pourquoi n’ont-ils pas choisi un homme juste ? Parce qu’ils savaient bien qu’un homme juste aurait mieux aimé mourir que d’accepter leur proposition, car il n’aurait vu en eux aucune apparence de vérité ; mais les démons ont choisi le démon, les menteurs, le mensonge. Tout prouve que le Pape Urbain VI est le vrai Pape, et qu’ils sont privés de la vérité et passionnés pour le mensonge. » (Cf. Lettres de Sainte Catherine de Sienne, traduites de l’Italien par E. Cartier, Tome I, 1886, Lettre n° XXXIX à la Reine de Naples, p. 335-337). 

[3] Jusqu’à preuve du contraire, il semblerait que l’Église ne se soit jamais prononcée sur la question de savoir qui de Clément VII ou d’Urbain VI était le vrai pape. Néanmoins, l’Église a censuré la proposition suivante : « Depuis Urbain VI, personne ne doit être accepté comme pape, mais il faut vivre à la manière des Grecs, sous ses propres lois. » (Cf. Grégoire XII, 8ème session du concile de Constance, 4 mai 1415, Erreurs de John Wyclif, article n°9). Quoi qu’il en soit, comme l’expliquait Saint Alphonse de Liguori : « Il importe peu, enfin, que, dans le cas d’un schisme, on ait été longtemps en doute sur le Pontife véritable ; car alors, ou bien un des compétiteurs aurait été le vrai Pape, quoiqu’il ne fût pas suffisamment connu ; ou bien tous auraient été des antipapes, et alorsle Pontificat aurait vaqué pendant ce temps. » (Cf. Œuvres complètes de S. Alphonse de Liguori, Tome II, Vérité de la foi. De la vraie Église contre les sectaires. Évidence de la foi catholique. Éd. H. Casterman, 1867, Partie III, Chapitre VIII, p. 162).

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